Saint-Simon
(Portrait de Claude-Henri de Rouvroy de Saint-Simon)
Claude-Henri de Rouvroy (Saint-Simon), comte de Saint-Simon (1760-1825), est l’auteur d’une idéologie qui a marqué tout le XIXème siècle : Le saint-simonisme. Cette idéologie, fille de la révolution française, marque le lien entre la glorieuse révolution et les idéologies qui se développent dans la seconde moitié du XIXème (socialisme, libéralisme, anarchisme). Un grand héritage est alors à découvrir pour celui qui appelait à une « révolution scientifique »
On distingue quatre grand courants que le saint-simonisme a influencé (Le positivisme d’Auguste Comte qui a été son disciple, le socialisme de Proudhon à Marx qui lisait Saint-Simon dans le texte, la sociologie de Durkheim qui admirait Saint-Simon et l’école saint-simonienne elle-même avec des figures comme Michel Chevalier). Pour autant, sa pensée a été maltraitée (caricaturée comme un « socialisme utopiste » pour Marx ou reprise par les religieux fanatiques).
(Auguste Comte a été très influencé par la pensée de Saint-Simon)
Pour comprendre la philosophie de Saint-Simon, il convient de la séparer en plusieurs parties de sa vie (le rapport à la science, à la philosophie politique, à l’idéologie). La volonté saint-simonienne est de changer l’ordre des choses pour la réaliser et assurer sa pérennité grâce à une mise en scène idéologique. Sa principale idée était de « faire une combinaison ayant pour objet d’opérer la transition de l’ancien au nouveau régime social. »
Saint-Simon ne commence à écrire qu’à partir de ses 40 ans. Il commence dans l’armée aux côtés de Lafayette pour l’indépendance des Etats-Unis. Il écrit sur cette époque : « Ma vocation n’était point d’être soldat ; j’étais porté à un genre d’activité bien différent, et je puis dire contraire. Etudier la marche de l’esprit humain pour travailler ensuite au perfectionnement de la civilisation, ce fut le but que je me proposai. Je m’y vouai dès lors sans partage, j’y consacrai me vie entière » (Lettres à un américain, I, 148). De cette expérience aux Etats-Unis, il retient que contrairement à la vieille Europe, la nouvelle Amérique est unie car « Ce qui avait passé jusqu’à présent pour des rêves, ce qui avait été relégué dans la classe des fictions, s’est donc afin réalisé. »
Après sa carrière militaire terminée en 1785, Saint-Simon se consacre au études et notamment à l’ingénierie. Il démarre également des activités entrepreneuriales. Après la révolution française de 1789, il déclare en 1790 : « Il n’y a plus de seigneurs. Messieurs : nous sommes ici tous parfaitement égaux ; et pour éviter que le titre de comte ne vous induise en l’erreur de croire que j’ai des droits supérieurs aux vôtres, je vous déclare que je renonce à jamais à ce titre de comte que je regarde comme très inférieur à celui de citoyen. »
Ses activités entrepreunariales marchent très bien. Il spécule sur la monnaie ainsi que sur les biens de l’Eglise qui ont pour beaucoup été vendus suite à la Révolution français. Il s’intéresse de près au mécanisme de circulation de l’argent. Il devient commerçant de vins, d’une maison de commissions et d’autres activités entre 1794 et 1797 où il vit une vie mondaine parisienne.
Tout bascule en 1798 où il abandonne l’entreprenariat pour se consacrer à la philosophie avec la rencontre décisive du Dr Burdin (1769-1835) qui lui fait comprendre l’importance de la psychologie. Il reprend des études de physique et de médecine. Pour lui, comprendre les réseaux du corps humain vont lui permettre de comprendre tous les réseaux des différents systèmes sociaux. Il complète son étude des réseaux d’ingénierie avec l’étude des réseaux du corps humain.
Ses études intellectuelles démarrent en 1802. Il rentre dans une période de misère matérielle et se reconnecte avec la philosophie. Il démarre sa phase épistémologique (1802-1813) avant de s’intéresser à la politique (1814-1823) puis à la religion (1824-1825). Un mouvement saint-simonien se réclame de ses oeuvres après sa mort (1825-1870).
Toute la vie de Saint-Simon est caractérisée par cette vision : Agir pour comprendre puis théoriser les connaissances apprises. Il est militaire puis propose la suppression des armées, il est noble puis rejette la noblesse qu’il qualifie de oisive et parasite, il naît dans une famille catholique puis accuse le pape d’hérésie.
Se déroule alors trois périodes de sa vie, la première « psilosophico-épistémologique » puis la seconde « politico-économique » et enfin « idéologico-religieuse ». Chaque période a son but : il passe de l’organisme à l’organisateur puis à l’organisation.
L’épistémologie et la philosophie de Saint-Simon (1802-1813)
A 42 ans, Saint-Simon se lance dans l’écriture, il démarre une oeuvre authentique qui vise à refonder « L’Encyclopédie ». Il commence sa réflexion avec les Lettres d’un habitant de Genève à ses contemporains (1802) où il pose les bases de méthode, de son rêve. Son Mémoire sur la Science de l’Homme (1813) clôt cette période en définissant la logique de l’organisme.
(Lettres d’un habitant de Genève à ses contemporains, premier grand écrit de Saint-Simon)
Les Lettres d’un habitant de Genève à ses contemporains
Dans ce premier texte, fondateur de sa pensée, Saint-Simon propose quelque chose de révolutionnaire dans la lignée de Newton : Honorer les grands maîtres de chaque domaine (scientifique, littéraire, philosophique, autre) d’un prix prestigieux sans argent. Ces grands maître seraient alors reconnus comme référents de leur domaine et seraient écoutés pour faire avancer plus rapidement le monde scientifique.
L’objectif de ce processus est de former un « rêve », un but vers lequel aller. En honorant la tombe de Newton, Saint-Simon espère provoquer un rapprochement entre grands intellectuels et gouvernés. Les gouvernés doivent pouvoir voir la lumière directement des grands intellectuels et non à travers l’académie qui fait briller les hommes de pouvoir. Pour le philosophe français, la distinction gouvernants / gouvernés n’a pas de sens ; il faudrait lui soustraire la vision « Humanités » (le peuple) et les « génies » que sont les intellectuels qui éclairement l’humanité. Un système de troc verrait l’humanité financer les intellectuels pour rémunérer le savoir et la lumière qu’ils apportent. En plaçant le savoir au pouvoir, Saint-Simon est dans la lignée des Lumières et de la Révolution française.
(Isaac Newton a beaucoup influencé Saint-Simon)
L’intellectuel français postule que lorsqu’un génie devient académicien, il met sa lumière au service du pouvoir politique qui utilise lui-même cette lumière pour assurer sa domination sur les gouvernés. En distinguant trois groupes (Gouvernants, intellectuels et gouvernés), Saint-Simon caractérise 3 types de société (L’anarchie où gouvernés et intellectuels s’associent, le despotisme où intellectuels et gouvernants s’associent et la solution idéale où dominants et dominés s’associent dans l’humanité avec les intellectuels).
Le « rêve » de Saint-Simon se précise. Il est le conjugaison de trois flux (Savoir, pouvoir, considération) qui exclut le despotisme et l’anarchie pour arriver à un système social fluide, immédiat. C’est dans ce cadre que le philosophe évoque l’importance de l’idéologie pour que les dominés acceptent leur domination et qu’il s’agit d’appliquer son idéologie pour arriver à un meilleur système social.
L’ « Introduction aux travaux scientifiques du XIXème siècle »
C’est avec l’ouvrage Introduction aux travaux scientifiques du XIXème siècle (1807-1808) qu’on entre véritablement dans la réflexion épistémologique de Saint-Simon. Son propos est que les révolutions scientifiques amènent les révolutions politiques.
L’intellectuel français distingue la matière fluide et la matière solide qui sont en perpétuel lutte. C’est de cette lutte qu’il faut comprendre les phénomènes physiologiques puis les phénomènes sociaux dans un second temps.
La « Mémoire sur la Science de l’Homme »
Avec La Mémoire, Saint-Simon clôt la première partie de son entreprise intellectuelle. Il finit d’expliquer son épistémologie et dans le même temps, il démarre une réflexion sur la psychologie sociale. De là apparaît également la définition de l’idéologie chez l’intellectuel français qu’on pourrait caractériser de « Système des idées ».
(Mémoire sur la Science de l’Homme, ouvrage majeur de la bibliographie de Saint-Simon)
S’en suit une volonté de construire une nouvelle religion pour fonder une nouvelle politique. Dans l’enchainement science-philosophie-religion-politique, Saint-Simon fait de la religion la « matérialisation du système scientifique ».
Dans son ouvrage, le philosophe développe sa théorie des fluides et des solides en y ajoutant les notions de corps brut et de corps organisé. Le corps brut est un solide qui se suffit à lui-même sans fluide où le solide domine le liquide alors que dans le corps organisé, les fluides dominent le solide grâce à un système de canal organisé. Reprenant sa métaphore originelle, Saint-Simon estime qu’on peut comprendre un homme et des réseaux en analysant à la fois les solides et les fluides.
C’est en 1813 que l’écrivain termine son épistémologie. Il a posé ses bases. Sa nouvelle religion sera selon ses termes : « L’organisation d’un système de morale terrestre » (Cf. L’industrie).
La politique de Saint-Simon (1814-1823)
Après avoir mis en place une logique de l’organisme (dans son épistémologie), Saint-Simon tente de définir la « science politique » et une logique de l’organisateur (le politique) pour passer d’un système social à un autre. Le but de l’auteur est simple : passer du système social au système industriel dans la continuité de la Révolution française afin d’achever cette révolution. Dans son esprit, un révolution fait beaucoup de bruits mais produit peu de changements. Pour changer un système, il faut avant tout réformer là où le petit changement permettra un grand changement. C’est dans ce cadre qu’il publie De la réorganisation de la société européenne.
« De la réorganisation de la société européenne »
Dans la lignée de sin action, Saint-Simon souhaite un changement social par l’Organisateur. Pour lui, la philosophie du XVIIIème siècle a été révolutionnaire et le XIXème doit être organisatrice. Son idée est de combattre l’idéologie pour en créer une nouvelle universelle comme prévu par les philosophes des Lumières.
(De la réorganisation de la société européenne, ouvrage phare de la vision du politique de Saint-Simon)
C’est dans ce contexte qu’il souhaite une unification et la création d’institutions européennes (d’abord franco-britanniques puis élargies à l’Allemagne et à l’Europe entière). Son idée est de rendre positive tout science, c’est-à-dire de prouver à chaque fois leur statut de science en passant par l’expérience. Il faut donc agir !
« L’Industrie »
Cet ouvrage a été publié entre 1816 et 1818 et porte également le nom de Discussion politiques, morales et philosophiques, dans l’intérêt de tous les hommes livrés à des travaux utiles et indépendants.
Avec L’Industrie, Saint-Simon garde les trois groupes sociaux qui composent la société (Gouvernant, Gouvernés et intellectuels) mais change la nature de la domination en passant du politique à l’économie. En se référant à Jean-Baptiste Say, qui a écrit Traité d’économie politique (1803), le philosophe français tire deux conclusions : « L’économie politique est le véritable et unique fondement de la politique » et « La politique est donc, pour me résumer en deux mots, la science de la production. »
Ainsi, le politique n’a pas d’objet, il est de l’idéologie appliquée et de l’économie détournée. Pour traiter le politique, il faut retourner à l’idéologie et à l’économie en créant une « morale industrielle ». L’idée derrière est que la classe industrielle porte en elle le futur « système social industriel ». Dès la fin des années 1810, Saint-Simon imagine le futur système social à son image. Pour le réaliser, il souhaite des réformes fortes tout en gardant des symboles de l’ancien système car pour lui : « Tout régime social est une application d’un système philosophique, et par conséquent, il est impossible d’instituer un régime nouveau, sans avoir auparavant établi le nouveau système philosophique auquel il doit correspondre. »
(L’Industrie, Discussion politiques, morales et philosophiques, dans l’intérêt de tous les hommes livrés à des travaux utiles et indépendants de Saint-Simon)
Le problème est que les personnes et intellectuels de cette époque n’ont pas conscience du changement en place. Le philosophe l’intellectualise : « Il faut refondre tout le système des idées morales ; il faut l’assoir sur de nouvelles bases ; en un mot, il faut passer de la morale céleste à la morale terrestre. » Ce nouveau système a pour but de renverser le système chrétien qui repose sur le duo paradis / enfer en le remplaçant par la morale des hommes, une morale pragmatique au service seul du bonheur humain.
La nouvelle morale doit s’appuyer sur le prochain groupe social dominant : les industriels. Le but est de dominer la technique et la nature pour que tout soit au service de l’homme. Dans ce cadre, c’est l’argent qui domine. Saint-Simon rappelle : « La loi la plus importante de toutes est sans contredit la loi du budget, car l’argent est au corps politique ce que le sang est au corps humain. Toute partie du corps où le sang cesse de circuler languit et ne tarde pas à mourir ; de même toute fonction administrative qui cesse d’être payée cesse promptement d’exister. »
Le but de La Politique est de suivre la domination de l’argent en le laissant circuler librement dans l’Etat pour qu’il soit utilisé de façon optimale pour le nouveau système social.
« Le Politique »
Une bonne politique est donc une politique au service de l’économie, de celui qui s’enrichit par le travail et non pas par son appartenance à un groupe sociale (la noblesse et la bureaucratie). Pour l’intellectuel français, le problème est qu’il y a beaucoup trop d’argent qui revient aux consommateurs non-producteurs qui sont les nobles parasites et les bureaucrates.
L’économie est la circulation de l’argent alors que la politique est le parasitage, elle empêche l’argent de circuler normalement. Pour Saint-Simon, les industriels sont toute la légitimité de conquérir le pouvoir politique. Le but final est de remplacer la bureaucratie de l’Ancien Régime par la technocratie de l’Industrie.
« L’Organisateur »
Saint-Simon propose son mode de fonctionnement de la politique. Il y aurait une chambre, appelée la « Chambre des communes » et « Parlement nouveau » voterait la chose la plus importante (le budget). Cette chambre se diviserait ensuite en 3 chambres :
° « Chambre d’invention » : 300 membres de 3 sections (1er groupe de 200 ingénieurs civils, 2ème groupe de 50 poètes et 3ème groupe de 25 peintres, 15 sculpteurs / architectes et 10 musiciens). Ils ont en charge de faire des propositions sur les travaux publics, l’éducation et toutes les fonctions régaliennes + d’autres domaines
° « Chambre d’examen » : Elle est composée d’industriels qui doivent examiner les projets pour les mettre en place ou non. Ce groupe a le contrôle de la circulation de l’argent.
° Chambre d’exécution » : C’est la chambre des personnes qui mettent en place les décisions pensées et validées aurapravant
NB : L’idée de la circulation est prépondérante chez Saint-Simon. Il y a 3 types de circulations (Les réseaux de transports puis l’école qui assure la circulation des savoirs et la Banque de France qui assure la circulation de l’argent).
« Chaque totalité sociale inclut en elle, une partie qui va la modifier et lui subsister une nouvelle totalité, car un système social ne peut être remplacé que par un système social supérieur. Dans chaque système social existe en germe le système qui va lui succéder. C’est la transformation de la capacité en pouvoir de ce germe, qui assure son développement et son extension en une nouvelle tonalité. »
Du Système Industriel
Cet ouvrage marque une transition dans l’oeuvre de Saint-Simon. Il développe à la fois ses théories sur le changement social (rachat du pouvoir des nobles par les industriels, création d’un parti industriel) et étudie dans le même temps la diffusion de sa propre idéologie.
Il interpelle sur l’enlisement du changement. Une transition est par définition transitoire. Or, le changement commencé par la Révolution française ne s’est jamais achevé. Pour finir ce changement, l’intellectuel propose que le pouvoir symbolique et politique (détenu par les rois) passe aux industriels. Saint-Simon pousse son raisonnement en affirmant qu’entre le gouvernement et l’administration, c’est l’administration qui détient le vrai pouvoir car c’est elle qui agit vraiment. Il propose alors la suppression de toutes les subventions faites aux nobles et la suppression de l’armée permanente. C’est une forme de début de la pensée anarchiste.
(Du Système Industriel, ouvrage important dans la bibliographie de Saint-Simon)
C’est alors qu’intervient sa volonté de propager son idéologie, d’en faire la publicité (la rendre publique aux yeux de tous). Il propose aux industriels de s’organiser dans un parti et de propager leur idéologie à travers l’analyse rationnelle et symbolique, qui sont complémentaires. Saint-Simon critique l’illusion de la politique présente-vécue qui rend « passif » et fait l’apologie de l’image consistance qui pousse les « actifs ».
Après avoir défini son idéologie et son rapport au politique, Saint-Simon passe à une autre étape de sa vie qui est la phase religieuse. Désormais, l’intellectuel propose sa nouvelle religion qu’il appelle « Nouveau Christianisme » pour créer ce qu’il appelle « l’association universelle ».
La religion saint-simonienne (1823-1824)
La fin de la vie de Saint-Simon est dédiée à la religion, religion qu’il souhaite universelle. Il déclare : « J’accomplis une mission divine en rappelant les Peuples et les Rois au véritable esprit du christianisme. » Il vise une organisation sociale unique et une religion universelle.
De l’organisation sociale unique, c’est-à-dire industrielle, découle une « religion générale, universelle et unique. ».
Les derniers textes fondateur d’une nouvelle religion
Le philosophe déclare : « Une société ne peut pas subsister sans idées morales communes ; cette communauté est aussi nécessaire au spirituel, que l’est, au temporal, la communauté d’intérêts. Or, ces idées ne peuvent être communes, si elles n’ont pas pour base une doctrine philosophies universellement adoptée dans l’édifice social ; cette doctrine est la clef de voûte, le lien qui unit et consolide toutes les parties. »
Par religion, Saint-Simon ne fait pas de référence à Dieu ou à une religion monothéiste ou polythéiste en particulier, il sous-entend une « idée générale ». Il vise une religion universelle, laïcisée en quelque sorte, c’est-à-dire une morale « qui est la base, ou plutôt le lien général de l’organisation sociale. »
Pour cela, les Industriels doivent développer une nouvelle religion, une nouvelle idéologie avant d’imposer leur vision. L’intellectuel s’explique : « La principe fondamental établi par le divin auteur du christianisme commande à tous les hommes de se regarder comme des frères, et de coopérer le plus complètement possible au bien-être les uns des autres. Ce principe est le plus général de tous les principes sociaux. Il comprend dans ses conséquences, non seulement toute la morale, mais aussi toute la politique. Il est le véritable principe constituant. »
L’idéologie saint-simonienne veut réhabiliter le christianisme originel, le vulgariser. La politique saint-simonienne devient une « sainte-entreprise ». Par opposition à Machiavel qui valorisait la ruse et la force pour fonder l’action de conquête et d’exercice du pouvoir, Saint-Simon proposer l’association pacifique et productive des industriels. L’industrialisme saint-simonien de l’atelier ou de l’usine, se ressource à la morale chrétienne de l’amour du prochain.
(Nicolas Machiavel, ennemi intellectuel de Saint-Simon)
Très critique envers la religion au début de sa carrière intellectuelle, Saint-Simon garde sa dénonciation de l’enfer et du paradis comme moyens pour contrôler la population. Son nouveau christianisme a pour but de trouver le bonheur dans le présent par la travail et plus ce travail est d’intérêt général, plus il contribue à la nouvelle religion.
« Le Nouveau Christianisme, religion laïque universelle »
Dans ses Dialogues entre un conservateur et un novateur, Saint-Simon explique le « Nouveau christianisme ». Il se place comme « novateur » dans la discussion. Le propos global est de ne pas toucher aux formes de la religion chrétienne mais de changer le fond.
Sur Dieu, le philosophe français répond qu’il y croit tout en expliquant qu’il croit à Dieu comme « idée générale » avec son message original. Toute société repose sur une « idée générale » et plus elle est simple, meilleure elle est.
Sa vérité de la religion, c’est l’égalité des frères, non la domination des hommes sur les hommes. Il s’agit d’instaurer une liaison « horizontale » et non plus « verticale » dans les rapports humains, l’association contre la domination. Il évoque : « La nouvelle organisation chrétienne dirigera toutes les institutions de quelque nature qu’elles soient, vers l’amélioration du bien-être de la classe la plus pauvre. »
Saint-Simon date du XVème siècle la trahison de l’Eglise qui s’est accommodé du pouvoir temporel en laissant les pauvres. C’est Léon X qui a fait la trahison. Le protestantisme de Luther a critiqué cette Eglise mais n’a pas proposé de nouvelle religion. L’intellectuel estime que les Lumières ont également fait le travail de critique mais n’ont pas proposé de nouvelle religion non plus. Il faut alors produire une nouvelle organisation sociale et religieuse.
(Luther, fondateur du protestantisme)
Pour réduire les inégalités, l’intellectuel explique qu’il faut voir la France comme un corps humain avec des canaux. En développant les travaux et les communications par les Grands Travaux, les ouvriers développent la valeur travail, importante dans le Nouveau Christianisme où il y a à la fois la valeur personnelle apportée et la valeur globale grâce à la création de tous ces réseaux.
3 piliers saint-simoniens apparaissent. D’abord la communion qui est le principe moral unique puis l’association universelle fait des hommes égaux, comme « sociétaires » et la réalisation de réseaux de communication des hommes, des savoirs et de l’argent, constitue un « plan général d’amélioration pour la propriété territoriale de l’espèce humaine. »
(Le Nouveau Christianisme, ouvrage sur la religion et l »Idée général » voulue par Saint-Simon)
Conclusion
L’oeuvre de Saint-Simon nous est intelligible à partir de la compréhension d’un triple mouvement de son esprit : épistémologie – politique – religion.
De ce mouvement persiste toujours l’envie de passer d’un système social à un autre pour finaliser la Révolution française. Dans un premier temps, Saint-Simon souhaite organiser la rencontre entre le génie (Newton) et l’Humanité (l’ensemble des hommes) pour que les hommes se rendent compte que le génie doit être à la disposition des gouvernés (eux-mêmes) et non des gouvernants (qui sont des parasites). Le changement politique se fait alors rapidement ; les industriels prendraient le pouvoir et diffuseraient leur idéologie.
C’est dans le dernier stade de sa vie qu’il développe son raisonnement pour mettre tout ce système en place. Il pense, avant de mourir, à développer une nouvelle religion qui relierait les hommes entre eux (lien horizontal) au lieu de les relier à une entité verticale (Dieu). Il souhaite revenir aux source humanistes et égalitaristes du christianisme avec son Nouveau Christianisme. C’est par l’adhésion à une « idée générale » que le changement social en faveur des plus pauvres pourra se faire.
L’intellectuel français fut un penseur symbolique de cette Révolution française qui a été loin d’être achevée au début du XIXème siècle (encore beaucoup de bureaucratie et de titres de noblesse).
Il fut également un des premiers hommes à avoir compris l’importance de la révolution industrielle et le besoin de créer un Etat de régulation sociale afin de limiter le creusement des inégalités et l’absurdité de l’Âge industriel.
Saint-Simon peut nous servir de lien entre les Lumières et les idéologies développées au XIXème siècle (communisme, libéralisme, socialisme). Il nous offre également une vision des Lumières adaptée à une religion qu’il souhaite universelle et qui propagerait son rôle initial : relier les hommes entre eux autour d’un universalité.
Sa vision prépondérante de l’idéologie sera reprise par Gramsci dans son concept d’hégémonie culturelle de la classe dominante.
Gauchistement votre,
Le Gauchiste