Jamais une Assemblée n’avait compté autant de députés de gauche en 1967 depuis les débuts de la Vème République en 1958. La voie semblait lancée pour l’union des gauches. Pourtant, 1968 chamboule tous les schémas pré-conçues sur la gauche et le gauchisme. Les révoltes de Mai 68 sont à court-terme désastreuses pour les groupes parlementaires puisqu’en 1969, une marée gaulliste reprend sa domination sans partage à l’Assemblée nationale.

(Rassemblement gaulliste pendant Mai 68)

 

Tout pousse à croire que la dispersion de la gauche en divers groupes à partir de Mai 68 (Trotskistes, Maoïstes, autres) a provoqué un affaiblissement net de la gauche parlementaire. Ces groupes « gauchismes » fondaient leur doctrine sur un refus de choisir entre les Communistes et les Socialistes tout en prônant toujours un discours révolutionnaire. De quoi furent composés tous ces groupes « gauchistes » qui ont perturbé les gauches traditionnelles de l’après Seconde Guerre mondiale (Parti Communiste français, SFIO, Parti Radical) ?

 

 

Le gauchisme culturel

 

Le gauchisme des années 1960 qui amènera les révoltes de 1968 est avant tout un gauchisme culturel qui amène beaucoup de renouvellements. Idéologiquement, la gauche était avant ces évènements très cloisonnée entre les communistes (PCF), les socialistes (SFIO) et les centristes de gauche (Parti Radical). Avec ces évènements, les cartes politiques sont redistribuées.

 

Le grand perdant du gauchisme des années 1960 est avant tout le Parti Communiste français (PCF). Auparavant maître de l’ultra-gauche et de la légitimité à parler et à faire la révolution, le PCF se voit être doublée à la fois sur sa gauche et sur sa droite. C’est le parti socialistes qui en profitera électoralement avec en plus, un ralliement des communistes qui, dans tous les cas, alliance ou pas, perdaient peu à peu leur influence.

 

Depuis 1968, le terme de « gauchisme » recouvre un ensemble hétéroclite d’opinions et de conduites politiques (voire apolitiques). Qu’est-ce donc que ce nouveau gauchisme culturel ?

 

 

Mouvements internationaux impropres à l’union

 

Loin d’être un mouvement uniquement français, les révoltes de la fin des années 1960 touchent le monde entier (Woodstock aux Etats-Unis, l’automne chaud de 1969 en Italie). Toutes les nouvelles problématiques soulevées par les mouvements contestataires rendent l’union impossible tant les solutions proposées sont diverses.

(Slogan « Ouvriers – Etudiants, unis nous vaincrons) en Italie en 1968-1969)

 

Culturellement, les avancées sont prodigieuses avec des nouvelles manières de penser (critique de l’ordre, critique de l’école, dénonciation du service militaire, de l’Eglise, de l’Etat jacobin). Le progressisme est aussi mis en avant (critique de la « normalité » sexuelle, avancées féministes). 

 

De nouveaux mouvements jamais vus apparaissent comme le MLF (Mouvement de Libération de la femme), le FHAR (Front homosexuel d’action révolutionnaire), le syndicat des prostituées, le CAP (Comité d’actions prisons). Des actions sont également menées (Nouvelle pratiques chrétiennes, nouvelles pratiques écologistes) avec la création de communautés à la campagne notamment. 

 

(Le Mouvement de Libération des Femmes pendant Mai 68)

 

Un nouveau langage

 

Une nouvelle agressivité et un nouveau langage sont le symbole de ce nouveau gauchisme culturel. Face au vieillissant Canard Enchainé, le journal satirique Charlie Hebdo montre toute son insolence et toute sa violence.

(Une du Journal satirique Charlie Hebdo)

 

Dans le même cadre, Libération fut le journal phare qui tenta de rassembler à la fois les prolétaires, milieux défavorisées avec l’intelligentsia et les classées aisées dans un but purement révolutionnaire.

 

 

« Tout est politique »

 

La tendance globale de Mai 68, c’est la politisation de la vie quotidienne. A une époque où le dégoût de la politique traditionnelle se répand, de nouveau lieux sont prisés par les jeunes pour faire de la politique (leur propre famille, les universités, les usines). 

 

C’est alors que nombre d’intellectuels suivent ces mouvements sociaux qui changent de formes et de revendications avec la tentative de l’auto-gestion (les usines LIP avec Charles Piaget). On retiendra aussi Jean-Paul Sartre aux usines Renault de Boulogne-Billancourt en 1970.

 

(Charles Piaget, figure de l’autogestion en 1973 avec l’usine LIP)

 

Le gauchisme politique

 

Moins prépondérant que le gauchisme culturel, le gauchisme politique a marqué de son empreinte les idéologies politiques françaises. Tous ces groupuscules se forment en réaction aux expériences communistes soviétiques et chinoises. Leurs idées existent depuis longtemps ; Mai 68 n’est que la concrétisation du morcellement de la gauche.

 

 

Les nouveaux théoriciens

 

De cette constellation de nouveaux théoriciens naît une volonté commune : critiquer l monopolisation des communistes et de leur bureaucratie du processus révolutionnaire à l’extrême-gauche. Chacun de ces théoriciens a la volonté de défendre l’autonomie des luttes prolétariennes (Castoriadis, André Glucksmann). 

(Castoriadis, figure de la critique de l’URSS et du marxisme-léninisme)

 

A l’issue des évènements de Hongrie en 1956, Castoriadis déclare : « Nous nous sommes acharnés à montrer que la conclusion est claire, définitive et irréfutable, de l’expérience de la Révolution russe était qu’un parti distinct de la classe ouvrière ne pouvait être l’instrument de la dictature du prolétariat, que celle-ci était le pouvoir des organismes soviétiques des masses ; mais aussi et surtout que la dictature du prolétariat n’avait pas de sens si elle n’était pas d’abord et en même temps gestion ouvrière de la production. » 

 

Tout ce nouveau courant a pour but de défendre l’autogestion, la défiance envers les institutions, l’électoralisme ainsi que la bureaucratie. 

 

 

Les trotskistes

 

Le trotskisme naît de la IVème Internationale avec Trotsky en 1938. Aujourd’hui, trois grands groupes se revendiquent du trotskisme :

 

La Ligue communiste révolutionnaire : Elle diffuse le journal Rouge et a notamment été dirigée par Alain Krivine

 

L’association des jeunes pour le socialisme : Elle est née en 1952 et est de tendance « lambertiste » 

 

(Pierre Boussel-Lambert a fait vivre le trotskime en 1968 et pendant l’après 68)

Lutte ouvrière : C’est une tendance ouvriériste qui agit surtout dans les entreprises

 

 

Les maoïstes

 

La particularité des maoïstes a été d’être les plus médiatisés pendant les évènements de Mai 68 et d’avoir quasiment disparu depuis, du fait des grandes contradictions à l’intérieur même du mouvement. Certains ont davantage interprète la Révolution culturelle comme une révolution anarchiste (Gauche prolétarienne et Vive la Révolution) tandis que d’autres l’ont davantage vu comme un marxisme-léninisme (PCMLF).

 

Ce sont eux qui ont le plus agit directement au sein des entreprises et des luttes nouvelles (comme le féminisme). Ils sont notamment à l’origine du slogan « Métro, boulot, dodo »

 

 

Les changements dans les institutions

 

Dans le syndicalisme : La CFDT et la FEN sont gauchistes (notamment par les trotskistes)

 

Dans la presse : Plusieurs journaux dont Le Monde et Le Nouvel Observateur donnent facile la plume à des auteurs gauchistes

(Une du Monde pendant Mai 68)

 

Dans l’édition : Pendant que des grandes éditions accueillent des gauchistes (Gallimard, Seuil), d’autres apparaissent (Champ Libre)

 

Dans les maisons de jeune : Ces maisons et d’autres centre culturels se gauchisent

 

Au sein du PSU (Parti socialiste unifié) : Le PSU est de plus en plus parcouru de courants trotskistes et maoïstes

 

Avec les mouvements qui se créent en Europe occidentale (les Brigades Rouges, la RAF allemande), les prolétaires français se sentent abandonnés par les intellectuels et se dirigent vers des solutions radicales en dehors du Parti Communiste français. 

 

 

Conclusion

 

 

Loin d’être des groupements homogènes, les « gauchismes » fonctionnent avant tout dans l’action culturelle et peu dans l’action politique. Ces idéologies sont plus que jamais d’actualité mais la volonté de ne pas institutionnaliser les forces amène ces mouvements à perdre de leur poids et à rester à l’état de contre-culture, ne prenant pas leur forme dans le monde institutionnel et la gauche parlementaire. 

(Slogan historique pendant Mai 68)

 

Ayant perdu son monopole de la symbolique révolutionnaire, le Parti Communiste français peine à rassembler autour de lui pour faire renaître les braises et l’unité autour du marxisme-léninisme. Nombre sont les idéologies nouvelles qui s’ajoutent au gauchisme (décroissance, zadisme, autres…) sans pour autant à trouver d’union. Peut-on encore parler de culture de gauche révolutionnaire unie ?

 

Gauchistement votre,

 

Le Gauchiste