Introduction

 

Le questionnement d’Eric Hazan part d’une réflexion simple : Est-il encore possible qu’il y ait des révolutions dans les pays désindustrialisés ? Le pessimisme actuel voudrait que de nouveaux paradigmes empêchent la révolution (réseaux sociaux aliénation).

 

L’objet de cet ouvrage d’espitémologie de la révolte est de comprendre dans quel contexte se produit « l’instant décisif » et comment le faire réussir.

 

D’où commence une révolte puis une révolution ? Comment une révolution parvient à s’inscrire dans le temps ?

 

 

 

La question de l’Avant-garde : former un parti politique révolutionnaire est-il rentable pour renverser un régime ?

 

Pour Lénine et son idée d’ « avant-garde », la classe ouvrière ne deviendra pas spontanément révolutionnaire. Les marxistes veulent créer un parti politique pour diffuser les idées parmi les travailleurs. C’est ce que dit Lénine dans Que faire ? (1902). Depuis l’écroulement de l’URSS, quasiment plus personne ne croit en cette théorie.

 

(Que faire ? de Lénine, premier ouvrage à parler de l’avant-garde)

 

 

 

Avec les exemples de la révolution russe de 1905 et la révolution espagnole de 1936, le concept « d’avant-garde » est vite ringardisé car aucune de ces grandes révolutions n’a été originellement le fruit d’un parti qui a noyauté le mouvement. 

 

Les révolutions russes de 1917, n’étant que le prolongement de celles de 1905, ne sont donc pas non plus dues au contrôle d’un parti révolutionnaire avant-gardiste.

 

En Espagne, aucun des grands partis des années 1930 (POUM, CNI, FAI et UGT) ne parvient à renverser le pouvoir et servir « d’avant-garde ». L’exemple de l’Espagne est frappant car en l’absence d’un parti « d’avant-garde », ce sont des petites institutions anarchistes qui se développent, notamment en Aragon et en Catalogne. Elles vivent de façon indépendante avec leur système de prix, de propriété et de redistribution. C’est même le parti communiste espagnol qui participe au démantèlement des subversifs qui tentèrent de s’organiser en auto-gestion.

 

(Image d’archive des anarchistes espagnols entre 1936 et 1939)

 

 

Alors que la révolution russe de 1917 est considérée comme victorieuse grâce à l’avant-garde, sa petite soeur de 1919 échoue en Allemagne. Pour autant, l’avant-garde russe de 1917 était loin d’être aussi solide et cohérente qu’on voulait bien le penser. Alors que Lénine est furieux que les Bolcheviks aient accepté la coalition avec les mencheviks mais ses thèses d’avril déboucheront sur un parti avant-gardiste révolutionnaire toujours faible et une structure du bas qui le soutient peu, gardant son autonomie. Tout explose à l’été 1917 où la plupart des bolcheviks ont peu d’expérience, n’adhèrent pas forcément au parti d’avant-garde et ont surtout faim. En réalité, le parti de Lénine n’a jamais véritablement fonctionné comme un parti d’avant-garde. On s’y injuriait, on y était indiscipliné. L’idée d’un parti avant-gardiste sous Lénine est l’oeuvre de Staline pour justifier le fonctionnement de son propre régime.

 

Eric Hazan ajoute que les insurrections lancées par des partis d’avant-garde ont quasiment toutes été des échecs, que ce soit celles du Parti communiste allemand (1920-1923) ou bien celles du parti communiste chinois (1927-1929).

 

 

Origines de la révolte ?

Politisation et révolte

Pierre Viasson-Ponté écrivait le 30 avril 1968 dans le journal Le Monde « quand la jeunesse s’ennuie ». Il décrit une jeunesse apathique ne participant pas aux problèmes du monde. Mai 68 apparut un mois plus tard. Seul Jean-Luc Godard avait semblé l’anticiper avec le film La Chinoise (1967) et le rôle principal de Jean-Pierre Léaud. La vérité, c’est que les jeunes qui cassent dans les banlieues et les grèves lycéennes sont bel et bien politiques.

 

(Extrait du film La chinoise de Jean-Luc Godard avec Anne Wiazemsky)

 

Le lien entre politisation et révolte n’est pas toujours évident car les deux plus grandes révolutions (Révolution Française et Révolution russe de 1917) ne se sont pas faites avec un peuple très politisé.

 

° Pour la Révolution Française : Ceux qui écoutent l’appel de Camilles Desmoulins le 12/07/1789 pour aller prendre la Bastille n’ont pas lu Rousseau, ni les autres philosophes qui ont intellectuellement critiqué la monarchie absolue de droit divin. Jean Rossignol, future figure importante du Club des Cordeliers « Le 12/07/1789, je ne savais rien de la Révolution »

 

(Camille Desmoulins, grand personnage de la Révolution Française)

 

° Pour les Révolutions Russes : On croit que le peuple était très politisé. Or, les débuts de la révolution ont lieu mi-février où le manque de farine pousse les femmes à casse les devantures de boulangerie. Lors des grandes grèves dès le 23 février à Poulitov, Trotski et Lenine ne sont même pas en Russie

 

C’est de l’action commune qu’émerge le véritable politique et non l’inverse. Ce n’est pas la diffusion des idées politiques qui crée le climat insurrectionnel mais la montée d’une colère qui déborde souvent les dérivatifs habituels.

 

Pour Eric Hazan, Les ouvriers votent Front National car la bourgeoisie culturelle a rendu la politique immorale et a cantonné les ouvriers aux PCF sans idées nouvelles. A partir du moment où les classes populaires pourront se rebeller et trouver un projet collectif, elles arrêteront d’être « fascistes »

 

 

 

Conditions de la réussite d’une révolte

 

Le rapport de force n’est jamais 100% matériel, c’est l’erreur que font les marxistes (sauf Marx). Ce qui pousse à une révolte, ce n’est pas la probabilité que ça a de réussir mais plutôt le ressenti profond qu’on ne peut plus continuer comme ça. 

 

Comment on renverse le rapport de force ? De deux manières :

 

° En faisant adhérer les masses

 

° En provoquant la défection des forces de l’ordre. 

 

Dans le déroulement d’une insurrection, la défection de l’ordre est ce qui finit de faire aboutir la révolte. En 07/1936, les troupes d’élites font gagner le fascisme à Barcelone tout comme la police parisienne qui se joint aux résistants en 06/1944. Quand il n’y a pas de défection de l’ordre, c’est le massacre comme en 02/1848 où Lamartine tire sur le prolétariat parisien.

 

(Tableau représentation Lamartine faisant vaincre la République contre les rouges)

 

 

Comment organiser une insurrection après la prise de pouvoir ? : La question du parlementarisme

 

Lors de la Commune de Paris, Flourens et Varlin, (entre autres) sont déjà connus et leur participation à l’exécutif et à a Garde nationale renforce le prestige de cette nouvelle institution totalement démocratique. 10 jours après, un Conseil général de la Commune est élu (avec une majorité d’ouvriers et des journalistes comme Vallès). 

 

(Plaque commémorative d’Eugène Varlin à Paris)

 

 

Le problème, c’est qu’ils ne cessent de débattre en omettant que le danger est aux portes de Paris. A 3 jours de l’entrée des Versaillais dans Paris le 19/05/1871, le Conseil général parle des problèmes de prisons mais est aveugle sur le danger de sa pérennité. C’est sûrement le parlementarisme qui a fait chuter la Commune. 

 

Ce besoin de parlementarisme est fait pour rassurer la majorité qui ne peut penser en dehors de son cadre pré-établi. 

 

Lors des deux seules grandes révolutions en Occident (Révolution Française de 1789 et Révolution Russe de 1917), les phases victorieuses de ces révolutions se sont faites sans parlementarisme. Pendant la Révolution Française, le parlementarisme de la révolution girondine de 1792 à 1793 bloque littéralement le pays qui est encerclé par les forces ennemis qui vont faire s’achever la révolution. Les Montagnards prennent le pouvoir avec le Comité de salut public et ses 11 membres qui sauvent la révolution avec la période la plus démocratique que la France ait connue. 

 

Les révoltes contemporaines en Espagne et en Grèce n’ont rien apporté de radical. Jamais en Occident des changements profonds n’ont été fait par le parlementarisme. Le Front Populaire ne fait pas exception car ce sont les grèves qui ont poussé aux votes de lois sociales et non les parlementaires de leur plein gré qui y auraient contribué.

 

 

Pour aller plus loin

Eric Hazan – La dynamique de la révolte

 

 

 

Rappelons-nous de ce que Eric Hazan a apporté à l’édition française et ses réflexions sur le Révolution Française, la révolte et la France

 

Le Gauchiste