En reprenant les travaux de Platon, Rousseau et surtout Guy Debord, Jaques Rancière estime qu’il n’y a pas de relation évidente entre la pensée de l’émancipation intellectuelle et la question du spectateur. En d’autres termes, personne (même pas Guy Debord) n’a réalité formulé de critique suffisamment puissante de la société du spectacle pour faire en sorte que le spectacle détruise le spectacle afin que ce même spectacle s’auto-détruise.
(Couverture de la Lettre à d’Alembert sur le spectacle de Rousseau)
C’est de cette contradiction première que Rancière souhaite nous questionner. L’auteur envisage tout autant les critiques de gauche et tous les mouvements postmodernistes (ZAD, zapatiste) tout comme les mouvements de droite qui, malgré eux, ont laissé le spectacle envahir notre société et, ne pouvant même plus le contrôler, commencent à le critiquer.
Epistémologie du spectacle et du spectateur
Influencée par la pensée platonicienne puis par le théâtre de Artaud et Brecht, Jacques Rancière nous invite à partir d’un premier postulat simple, il n’y a pas de spectacle sans spectateur et surtout, le spectateur peut se définir à la fois comme un être passif et comme un ignorant souhaitant éventuellement apprendre. Platon le résume par cette phrase « Le théâtre est le lieu où des ignorants sont conviés à voir des hommes souffrir. »
(Illustration du théâtre de la cruauté d’Antonin Artaud)
L’exemple du théâtre a de puissante son idée originelle qui est de créer lors d’une représentation une communauté entre acteurs et spectateurs, de lors que la séparation n’existe plus et que le drame soit déçu ensemble. C’est tout le sens des deux propositions différentes d’Artaud dans son théâtre de la cruauté (la distance entre spectateur et acteur doit être purement abolie) et de Brecht dans son théâtre épique (il faut faire chercher le sens au spectateur).
Le théâtre rentre dans la définition du spectacle de Guy Debord pour qui « L’essence du spectacle, c’est l’extériorité et la vision de l’extériorité. La maladie de l’homme spectateur peut se résumer en une phrase : plus il contemple, moins il est. Ce que l’homme contemple dans le spectacle, c’est l’activité qui lui est dérobée. »
Qu’est-ce que le « bon spectacle » donc ? Il s’agit du spectacle qui sert sa réalité supprimée pour se supprimer. Le spectacle reprend cette dialectique de la pédagogie entre un maître qui explique et un élève qui apprend. Seulement, le but de la pédagogie n’est pas pour le maitre de supprimer l’ignorance de son élève mais plutôt de lui donner le savoir de cette ignorance afin qu’il l’explore lui-même. Ce qui manque toujours à l’élève, c’est le savoir de l’ignorance, autrement dit la distance qui sépare son ignorance du savoir.
Critiques de gauche et de droite du spectacle
Debord et le post-situationnisme
Toute la critique de gauche du spectacle s’organise autour de plusieurs personnalités tels que Breton et Guy Debord. Jacques Rancière n’estime pas que la critique de la société du spectacle de Debord soit désuète mais il estime pat contre qu’elle est mal utilisée et surtout utilisée contre elle-même. De sorte que Debord s’intègrerait au spectacle à cause de la mauvaise compréhension de son oeuvre.
Alors que le surréalisme montre la quotidienneté bourgeoise, le marxisme (dont Guy Debord s’inspira beaucoup) souhaite proposer un spectacle représentatif du réel qui montrerait les antagonistes de classe (élément central chez Debord également).
Rancière s’interroge sur l’idée de continuer à proposer du spectacle même révolutionnaire. Pour lui, si la démonstration visuelle du besoin d’anéantir le spectacle était prouvé, l’existence même du spectacle devrait arrêter d’exister chez ceux qui le critiquent. Or, Rancière croit encore à la possibilité d’une critique radicale de l’exposition marchande.
(Extrait du film Masculin Féminin de Jean-Luc Godard)
Déjà dans les années 1960, Godard marchait avec les étudiants qu’ils nommaient les « enfants de Coca et Marx ». Depuis, le pensée marxiste est pour la majorité rentrée dans le spectacle, elle est elle-même devenue une sorte de marchandise. C’est tout l’esprit du livre Le nouvel esprit du capitalisme (1999) de Bolstanski et Chiapello.
(Ouvrage post-situationniste Boltanski et Chiapello)
La critique de droite du spectacle
De l’autre côté, la droite aussi entame par moments une critique radicale de la société du spectacle. C’est une nouveauté des années 1990 où le capitalisme arrivant à ses contradictions, fait émerger les contradictions d’une société fondée sur le spectacle et le rapport social que ce spectacle représente.
Au spectacle global de la bourgeoisie qui la fait exister et continuer à faire vivre son histoire, certains mouvements contestataires lui font revenir en mémoire des évènements traumatisants pour elle. Un exemple de application réelle a eu lieu en 2005 lors de la crise des banlieues. Finkielkraut a fini par dire que les jeunes de banlieue qui ont cassé étaient avant tout des bourgeois qui n’avaient pas « réussi » (reprenant l’idée de Céline) et qui voulaient avant tout participer à la société de consommation et à la société du spectacle dont ils étaient exclus.
Les deux faces d’une même pièce
En apparence contradictoire, les deux visions sont en réalité les mêmes, prenant seulement des origines différentes. L’erreur originelle de la gauche et de la droite est de prétendre que la loi de la marchandise est comme la vérité ultime des belles apparence afin d’armer les combattants de la lutte sociale.
(Couverture du Spectateur émancipé de Jacques Rancière)
Prenons en compte toute l’étude de Jacques Rancière sur le spectacle et notre besoin de spectacle pour l’auto-détruire
Gauchistement votre,
Le Gauchiste