Cinéaste oublié du cinéma français, il est primordial de faire revivre le cinéma de Carpita à l’ombre des grands réalisateurs tels que les Godard ou bien les Renoir. Entaché d’une censure de son long métrage Le rendez-vous des quais (1955) est interdit pendant près de 30 ans en France.

Carpita continue ses projets malgré cette censure avec une majorité de courts métrages. Avec le recul historique, une sort de mythe s’est construite autour de ce réalisateur qui concentre toute la subversion et la singularité qui n’eurent pas toujours les autres grands cinéastes de l’époque.

Véritable homme issu de la classe prolétaire (une mère poissonnière et un père docker), beaucoup le considèrent comme le chainon manquant entre les films de Renoir des années 1940 et la Nouvelle Vague française qui débute à la fin des années 1950. Trop peu de cinéastes français ont un parcours à la Fassbinder, Pasolini ou Ken Loach. De toute évidence, le néoréalisme français est passé au travers de son histoire.

 

(Mamma Roma de Pasolini en 1962, film présentant le prolétariat romain)

 

 

Le personnage

 

Paul Carpita nait dans un environnement populaire et très marseillais (lui-même a des origines corses et italiennes). Son enfance est celle d’un garçon courant dans les rues, criant, avec une joie de vivre. Le quartier Saint-Jean où il grandit est un quartier ouvrier (grande similitude avec Elio Petri qui  grandit dans l’ancien ghetto juif de Rome avec lui-même des origines ouvrière.

Le jeune Paul grandit dans l’effervescence française de la fin des années 1920 avec l’avènement de la radio et du cinéma. Le cinéma devient une institution majeure où se divertir. Le premier souvenir du jeune enfant est celui de l’élection du Front Populaire. Il déclare « On a entendu les sirènes […] J’ai vu mon père pleurer. » 

Paul Carpita s’intéresse au communisme avec son oncle instituteur très cultivé. Rapidement il lit le Manifeste du parti communiste (1848) et les Manuscrits de 1844 (1844). Il aime en parallèle Eluard, Apollinaire et Aragon.

(Manuscrits de 1844 de Karl Marx)

Sa vie bascule lors de l’Occupation où il milite avec les Résistants communistes. Un jour, il échappe de peu aux Allemands en se réfugiant dans une cave après avoir été poursuivi. Son ami qui était avec lui ne survit pas à cette chasse.

 

Le style Carpita

 

Son amour pour le cinéma et la Résistance amène à la formation du groupe Ciné-Pax. Le groupe réalise des reportages sociaux et engagés sur la reconstruction de Marseille. Il filme les manifestation. C’est un groupe d’une quinzaine de personnes. 

Paul Carpita est principalement influencé par le néoréalisme italien et les grands films de l’époque comme Rome ville Ouverte (1945) et Allemagne année zéro (1947) de Roberto Rossellini. C’est avant tout Le voleur de bicyclette (1948) qui retient son attention. On imagine souvent qu’il  été très influencé par Toni (1935) de Renoir, ce qu’il dément.

(Rome ville ouverte de Roberto Rossellini, film mythique du néoréalisme italien)

Carpita en profite pour accuser le cinéma français de ne pas sortir, d’être un art de « fils à papa » tandis que les Italiens prennent des risques en sortant. Il faut attendre la Nouvelle Vague pour voir les cinéastes français sortir mais toujours avec des réalisateurs bourgeois.

Le style Carpita, c’est le style qui a manqué au cinéma français entre les années 1940 et les débuts de la Nouvelle Vague, ce cinéma brut dont nous avions besoin et que les Italiens avaient très bien compris. Malgré des salles vidées après 1945, l’Italie a su affronter la douleur en se regardant dans un miroir, chose que la France a oublié de faire, se précipitant sur les Nouvelle Vague pour mieux oublier le passé.

Carpita filme en indépendant, des gens qui ont déjà un travail et qui jouent leur rôle de tous les jours, jusque dans les usines où les ouvriers sont ravis de faire leur travail sous l’oeil de sa caméra. Il se détache du néoréalisme italien en introduisant de la joie et de l’utopie, ce qui manquait chez Rossellini et De Sica.

Avec Le rendez-vous des quais (1955), Carpita rentre dans le mythe en s’affirmant à travers un cinéma où poétique et politique sont toujours associés.

 

(Le rendez-vous des quais, plus grand film de Paul Carpita)

 

Les thèmes abordés

 

Les thèmes abordés par Carpita sont ceux des dominés, vus de l’intérieur et joués par les dominés eux-mêmes. Son grand film Le rendez-vous des quais (1955) évoque la grève des dockers qui souhaitent exercer leur droit de retrait pour protester contre la Guerre d’Indochine. Son film est censuré pendant plus de 30 ans car jugé trop dur envers l’armée française.

Il subit une triple censure entre le gouvernement, les cinéastes de droite qui n’aimaient pas sa manière de filmer et indirectement les cinéastes de gauche comme Godard qui, en ne le soutenant pas, ont fait en sorte que la censure perdure pour son film.

Le thème de Marseille reste récurrent, pour un cinéaste qui n’a jamais voulu monter à Paris en dehors de quelques exceptions. Toute sa vie, il films les dockers, la vie dure à l’usine et la vie populaire dans les quartiers pauvres.

(Image du film Des lapins dans la tête)

Carpita s’intéresse aussi à l’enseignement et réalise La Récréation (1959) où il films ses propres élèves. C’est une grande réussite à Marseille où son cinéma reçoit un accueil très chaleureux. 

(Image du film Graines au vent)

Pour finir, il anticipe les événements de Mai 68 en abordant le thème du patriarcat et de l’oppression des femmes dans La Récréation (1959) et Graines au vent (1964).

 

(Ouvrage consacré à Paul Carpita. Entretiens avec Pascal Tessaud)

 

Rappelons-nous la liberté de filmer de Carpita et son avant-gardiste face au conservatisme cinématagraphique dont il a été victime.

 

Gauchistement votre,

 

Le Gauchiste