Grand intellectuel du XXème siècle, Guy Debord n’a pas eu lors de sa vie une grande reconnaissance. C’est à titre posthume qu’il apparaît du grand jour avec tout sa production littéraire qui est rapportée à la Bibliothèque nationale de France car considérée comme « trésor national ».

D’abord vu comme un théoricien, Debord s’avère être davantage un stratège qui, ayant expliquer le spectacle, tente d’y proposer des solutions pour s’en désaliéner. Il expliquait que les ouvrages de critique social duraient peu de temps après leur parution alors qu’il estimait que La société du spectacle (1967) allait durer. Le temps lui a donné raison.

 

(La Société du spectacle, principal ouvrage de Guy Debord)

 

 

Alors que la figure de l’intellectuel jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, un changement s’opère après 1945. Désormais, les intellectuels ne font plus peur au pouvoir. Seuls quelques intellectuels vont trembler le pouvoir. Parmi eux, Guy Debord et les situationnistes ont été les critiques phares pendant Mai 68 avant de tomber dans la banalisation.

Il est impossible de comprendre le concept de spectacle de Debord sans citer les deux grandes influences qui lui ont permis de définir ce spectacle. Parmi eux, Marx et Lukàcs sont à l’origine du concept que Debord ne fait que renforcer et mieux expliquer.

 

(Georg Lukács, grand lecteur de Marx et théoricien de la notion de spectacle)

 

 

Une idée majeure unit Marx, Lukàcs et Debord, c’est l’idée que le spectacle est la forme la plus développée de la société fondée sur l’économie et sur le « fétichisme de la marchandise » qui en découle.

 

 

De Marx à Debord

La pensée marxiste est indispensable pour comprendre la pensée de Debord. Alors qu’on associe toujours à Marx le fait d’avoir seulement proposé un doctrine économique, on renferme Guy Debord à sa critique des mass media, ce qui est bien insuffisant.

Déjà, Marx développe une réponse à la question suivante : Est-ce que l’homme s’enrichit lorsque la société s’enrichit ? L’intellectuel allemand répond que non. Il ajoute que plus il y a de pouvoir dans une société, plus l’individu lui-même voit son pouvoir diminuer.

Alors que Karl Marx s’attache à la critique de la religion comme imagerie qui détourne l’homme de ses vraies situations, le développement du capitalisme au XIXème siècle pousse l’intellectuel allemand à considérer que désormais « le spectacle est l’héritier de la religion. »

 

(Le Capital de Marx, ouvrage qui ouvre sur la notion de marchandisation et de spectacle)

 

Comment en est-on arrivé là ? Marx développe sa théorie de la valeur d’usage et de la valeur d’échange pour expliquer comment le spectacle est apparu. Pour Marx « La valeur d’échange est le condottiere de la valeur d’usage, qui finit par mener la guerre pour son propre compte. » En d’autres termes, à partir du moment où la propriété privée est apparue, chaque individu a voulu posséder davantage en créant un spectacle qui a légitimé sa réussite (posséder un grosse voiture, une grande maison, ne pas travailler).

L’intellectuel allemand explique le concept de marchandise dans le premier chapitre du Livre I du Capital. La marchandise a un caractère double. Elle a une valeur d’usage (son utilité) mais aussi une valeur d’échange (valeur qui détermine contre quoi elle va être échangée). Les choses concrètes prennent la forme de quelque chose d’autre qui les relie, le travail abstrait, dont la forme finale est l’argent.

 

(Illustration de l’idée de spectacle)

 

Tant que les différentes communautés humaines, comme les villages, produisent elles-mêmes ce dont elles ont besoin t se limitent à l’échange occasionnel des excédents, la valeur d’usage dirige la production. Il conclut « Les hommes ne font rien d’autre que s’échanger des unités de travail abstrait, objectivées an valeur d’échange qui peut ensuite se retransformer en valeur d’usage. » 

Or, Marx rappelle que ce qui fait l’homme, c’est son action concrète sur son environnement et la réalisation de sa sensibilité. Un individu aliéné l’est car non seulement on lui retire son argent (la plus-value) mais surtout en produisant, l’individu dominé produit un spectacle auquel il ne participe pas. Marx parle de la « baisse tendancielle du taux de profit », Debord le met à jour en parlant de la « baisse tendancielle de la valeur d’usage. »

Alors que Hegel estime que l’homme arrive au monde objectif et sensible puis crée son essence en trouvant sa place, Marx au contraire, estime que l’homme arrive au monde objectif et sensible en faisant sens avec son environnement ; c’est seulement la marchandisation du monde qui l’aliène.

L’idée de Marx est simple : aucun changement à l’intérieur de la sphère économique ne sera suffisant tant que l’économie elle-même ne sera pas passée sous le contrôle conscient des individus.

 

 

De Lukàcs à Debord

L’apport de Lukàcs à Debord est certain. Georg Lukàcs reprend les idées d’Engels et Marx qui ont été depuis oubliées. Il est d’abord ostracisé après son livre Histoire et conscience de classe (1923) qui est jugé comme dangereux par la IIIème Internationale avant de devenir un classique à partir des années 1950.

Beaucoup influencé par Lukàcs que par Marx, Debord ne cite que quelques fois le philosophe hongrois dans ses écrits. Il affirme « Le chapitre du Capital sur le caractère fétichiste de la marchandise recèle en lui tout le matérialisme historique. » Lukàcs est un adorateur des premiers écrits de Marx car il estime que le philosophe allemand a quelque peu perdu son idée originelle en rendant sa pensée soluble dans le capitalisme.

 

(Histoire et conscience classe, classique du marxisme)

 

Debord reprend l’idée de Lukas dans le paragraphe 24 de La Société du spectacle (1967) en affirmant que Marx a fait sombrer sa pensée et tous ses interprètes avec son version « économiciste. » Ce qu’ont en commun Debord et Lukàcs, c’est la condamnation de toute forme de contemplation dans laquelle ils voient une aliénation du sujet. 

Alors que le philosophe hongrois estime que les ouvriers peuvent partager leur aliénation et leurs ressentis, Debord affirme que la marchandisation et le spectacle produisent des ouvriers aliénés et où l’unité et la communication deviennent l’attribut exclusif de la direction du système. »

Marx critique l’économie politique en demande aux médecins, fossoyeurs et autres de s’occuper de lui en dehors du travail. Debord va plus loin en disant que le travail et à la fois le non-travail appartiennent désormais au spectacle. Pour Debord « Le spectacle prend en charge l’homme tout entier. » L’engrenage et la révolte peuvent aussi s’inclure dans le spectacle sans détruire ce dernier. 

 

 

 

Debord et La société du spectacle

L’originalité de Debord a été de reprendre les théories de Marx et de Lukàcs en les modernisant à son époque. Très vite, il comprend que la contemplation passives d’images, qui de surcroît ont été choisies par d’autres, se substitue au vécu et à la détermination des évènements par l’individu lui-même. De là nait l’idée même de situationnisme, c’est-à-dire de créer des situations par les individus eux-mêmes.

Pourquoi alors le spectacle est-il devenu un véritable « rapport social » entre dominants et dominés ? Debord reprend l’argumentaire marxiste en déclarant que la séparation survenue entre le spectateur et le spectacle n’est d’autre que la séparation entre classes sociales qui luttent pour diffuser leurs intérêts à travers des symboliques.

 

(Guy Debord, auteur de La Société du spectacle)

 

Debord assimile le spectacle du XXème siècle comme un spectacle qui est devenu « l’autoportrait du pouvoir à l’époque de sa gestion totalitaire des conditions d’existence. » 

Le capitalisme d’Etat (URSS, Allemagne nazie et Italie fasciste) et les pays développés partagent l’utilisation du spectacle comme rapport social. Seulement, les Etats totalitaires utilisent le spectacle comme « spectaculaire concentré » alors que les pays occidentaux l’utilisent comme « spectaculaire » diffus. Chacun des bloc participe à la « division mondiale des tâches spectaculaire », de sorte que les individus des pays démocratiques en viennent à parfois préfère le spectacle totalitaire et le spectacle totalitaire à préparer le spectacle démocratique.

 

(Guy Debord avec ses camarades situationnistes)

 

Le spectacle n’est as lié à un système économique déterminé, mais il traduit la victoire de la catégorie de l’économie en tant que telle, à l’intérieur de la société. Il est l’affirmation omniprésente du choix déjà fait dans la production, et sa consommation corollaire. Non seulement le travail, mais aussi les autres activités humaines, ce qu’on nomme le « temps libre », sont organisés de façon à justifier et à perpétuer le mode de production régnant.

Pessimiste, Debord annonce « qu’aucune idée ne peut mener au-delà du spectacle existant, mais seulement au-delà des idées existantes sur le spectacle. » 

 

(Ouvrage de référence sur la philosophie de Guy Debord)

 

 

Gardons en mémoire les premières thèses de Marx sur le spectacle et tous les approfondissements de Lukàcs et Debord pour renverser ce même spectacle

 

Gauchistement votre,

 

Le Gauchiste