Agitée par le mouvement des gilets jaunes, la France a vu les effectifs de police utiliser de plus en plus des armées non létales lors des manifestations. L’objectif est simple : utiliser ces armes pour dissuader les manifestants de protester malgré un climat et des mesures clairement antisociales.
Au-delà de savoir si ce sont les policiers qui utilisent trop leurs armes ou bien si les manifestants méritent les blessures qu’on leur inflige, l’étude de l’arme non létale permet de comprendre son utilisation, c’est comprendre aussi le niveau d’autonomie des forces de l’ordre et la possibilité de l’arbitraire. Prenons de la hauteur pour comprendre dans quoi s’englobe l’arme non létale et son utilisation par l’Etat pour préserver son hégémonie et faire passer les réformes structurelles.
A travers ce récit au coeur des violences policières, Paul Rocher nous propose une liste des armes non létales et surtout une analyse de leur objectif. Pourquoi utiliser ces armes ? Au nom de quoi ?
L’arme non létale, état des lieux
Une histoire de l’arme non létale
L’Etat se fonde à la fois sur le consensus et la coercition pour fonctionner. C’est lorsqu’il utilise de plus en plus la coercition au détriment du consensus qu’il se fragilise. Pour cela, l’Etat doit faire passer l’utilisation de la coercition comme la plus légitime possible.
C’est très souvent le soucis éthique qui est à l’origine de la création des armes non létales. L’arme non létale est une invention du XIXème siècle pour gérer les foules et les manifestations avec l’objectif de ne tuer personne. Malheureusement, la distinction entre industrie civile et industrie militaire est souvent poreuse.
L’Etat fait passer le développement de l’arme non létale pour un moyen moins violent d’assoir son autorité mais il l’utilise surtout pour l’accroître. Le 13 mars 1919, les Britanniques utilisent pour la première fois le gaz lacrymogène contre les Indiens avec des conséquences dramatiques (379 morts).
(Illustration du Massacre d’Amritsar)
Après de nombreuses actions de lobbying, c’est en 1929 que le gaz lacrymogène est démocratisé et entre dans les moeurs pour être finalement considéré comme « normal ». Dès lors, la création et l’utilisation de chaque arme non létale est une construction sociale que l’on finit par accepter malgré les dangerosités possibles.
Il faut attendre les années 1960 pour voir une vraie réflexion sur l’arme non létale suite aux nombreuses contestations. Des armes utilisant la lumière, la chaleur et d’autres moyens sont testés sans pour autant être privilégiées.
(Dessin de Mai 68 représentant un policier avec une matraque)
Le nombre d’armes létales différentes explose dans les années 1990 avec le taser, les bombes de désencerclement (entre autres). Le technologie moderne avait prédit que les trônes allaient remplacer l’arsenal coercitif de la police. Il n’en est rien.
L’objectif est de rendre les armes plus douces tout en renforçant leur efficacité. Déjà, le discours est contradictoire et annonce les grands mensonges sur l’arme non létale.
Etat des lieux des armes non létales
Tout d’abord, qu’est-ce qu’une arme ? Paul Rocher nous dit « Une arme est un instrument utilisé au combat dans le but de tuer, blesser ou défaire un adversaire. » Le but est bien de blesser mais de la manière la plus douce possible.
Quelles sont donc ces armes non létales ? On peut les classer en plusieurs catégories :
° L’arme cinétique (matraque, canon à eau, flashball, grenade de désencerclement). Le but ici est d’attendre directement un corps. Ce sont les armes non létales les plus diverses et les plus utilisées
° L’arme chimique (Il s’agit de gaz parmi lesquels le gaz lacrymogène. Il arrive très souvent que d’autres gaz soient ajoutés à celui-ci pour augmenter les effets indésirables, ce qui accentue la dangerosité du gaz)
(Illustration de Gaz lachrymogène sur les Gilets Jaunes)
° L’arme électrique (Il s’agit du taser). C’était un type d’arme qui était très attendu mais qui est peu utilisé car très dangereux
° L’arme acoustique (Ce sont des grenades à effet étourdissant qui peuvent aller jusqu’à 180 décibels soit au-dessus de seuil toléré par l’audition et interdit par la CEDH)
° L’arme optique et énergie dirigée (Elle ne sont quasiment jamais utilisées)
Globalement, la quantité d’armes disponibles et la quantité d’armement des forces de l’ordre a beaucoup augmenté depuis les années 1990. Le but est surtout d’avoir des armes qui agissent à distance et sur le corps (les armes cinétiques).
Ainsi, les forces de l’ordre utilisent de plus en plus d’armes qui sont plus nombreuses et plus puissantes depuis les années 1990. Globalement, l’Etat est en permanence en recherche de nouvelles armes et surtout, il souhaite que ces armes gagnent encore en efficacité.
Utilisation de ces armes
L’idée populaire voudrait que les policiers utilisent leurs armes quand ils sont vraiment en danger tout en mettant le moins en danger les manifestants. Or, rien que le fait de voir le nombre d’armes augmenter montre que leur dangerosité potentielle augmente.
Beaucoup de consignes de non létales des armes ne sont plus respectés, les rendant potentiellement létales (ce qui s’est vérifié à maintes reprises). Il faut ajouter à cela que les circonstances dans lesquelles ces armes sont utilisées provoquent aussi des bavures et un non-contrôle de leur utilisation.
Alors que le nombre de tirs d’armes conventionnelles (armes à feu) a stagné, l’utilisation des armes non létales a explosé sans que la délinquance augmente véritablement. Ainsi, l’utilisation de l’arme non létale augmente sans raison véritablement légitime.
En 2018, les forces de l’ordre ont tiré 480 fois plus qu’en 2009. La psychologie utilise un terme pour qualifier l’idée que la police utilise davantage ses armes quand elle en a plus : c’est l’effet d’arme.
En résumé, les armes mis à leur disposition ainsi que leur vision du monde et leur autonomie face à l’autorité (les policiers ne sont presque jamais sanctionnés) provoquent une sorte de sentiment d’impunité qui les pousse à utiliser encore plus leurs armes.
Etatisme autoritaire et néolibéralisme
Economie de la répression
L’industrie de l’armement fait partie des rares industries à être encore bénéficiaires depuis des dizaines d’années car les commandes et les rendements sont encore très élevés. L’économiste Claude Serfati montre que le secteur de la Défense est le seul qui augmente continuellement depuis les années 1990.
(La mondialisation armée de Claude Serfati, ouvrage de référence sur l’armement en France)
La production d’armes non létales a augmente de 75% entre 2012 et 2017, ce qui s’associe avec leur utilisation qui a explosé depuis 2018. Leur nombre dans les mains des forces de l’ordre a quasiment doublé entre 2013 et 2017.
75% des dépenses d’armes non létales entre 2000 et 2020 ont eu lieu entre 2010 et 2020. A Notre-Dame-Des-Landes en 2018, c’est près de 1400 grenades qui ont été lancées chaque jour.
Il faut ajouter que la France achète des armes illégales de l’étranger tout en en fabriquant des illégales sur son territoire et en les vendant à des pays du Moyen-Orient dont certaines se retrouvent aussi dans les rangs de Daesh (par rachat ?).
Avec le travail d’Amnesty International, la France se trouve régulièrement au coeur de scandales qu’elle laisse passer pour pouvoir mieux continuer à vendre ses armes une fois que le scandale passe. La France exporte des armées dans pas moins de 93 pays et participe à la libéralisation du marché des armes avec des décrets signés en 2011.
Offensive néolibérale et étatisme autoritaire
Toutes ces augmentations ne veulent dire qu’une seule chose : l’Etat a besoin de renforcer sa sécurité car il doit maintenir l’ordre. Pourquoi alors augmenter la présence des armes non létales ?
L’Etat doit renforcer son arsenal car les tensions sociales explosent tant en banlieue que lors des manifestations des gilets jaunes. Les jeunes de banlieue deviennent une excellente excuse pour laisser le gouvernement augmenter le budget de l’intérieur et faire profiter les policiers d’une durcissement de leurs pratiques.
Nous entrons dans une nouvelle phase du capitalisme néolibéral où désormais, l’Etat fait tellement exploser les inégalités sociales qu’il ne peut se permettre de laisser le peuple se rebeller.
L’histoire classique de la violence symbolique suggère avec Bourdieu et Foucault que l’Etat utilise l’hégémonie culturelle pour se justifier. C’est vrai mais la coercition physique revient justement en force car l’hégémonie culturelle de l’Etat se désagrège.
L’idée d’Antonio Gramsci reprend cette idée selon laquelle il faut une alternance entre domination symbolique et domination purement physique de l’Etat pour assoir son autorité. Or, les événements récents nous montrent que la domination physique est toujours plus forte sur la symbolique.
(Antonio Gramsci, théoricien de l’hégémonie culturelle et coercitive de l’Etat)
Giorgio Agamben synthétise l’idée d’Antonio Gramsci en la rendant actuelle. Pour lui, nous sommes dans des Etats d’exception permanents qui devienne tune norme et que nous finissons par accepter par peur des violences physiques permanentes.
Il s’agit clairement d’une phase du libéralisme où le libéralisme ne parvient plus à résoudre les problèmes sociaux. L’Etat change la façon de gouverner (omniprésente du pouvoir exécutif, pouvoir sécuritaire renforcé, Parlement de plus en plus ignoré).
(Poulantzas, intellectuel anarchiste du XXème siècle)
Pour aller plus loin, Poulantzas sort du cadre habituel disant que l’Etat utilise la violence symbolique et coercitive pour simplement se maintenir. Il va plus loin en disant que l’Etat peut utiliser encore plus de violence (symbolique et physique pour un Etat totalitaire) et physique pour un Etat démocratique (la France actuellement) pour mater toute révolte.
(Paul Rocher, Gazer, Soumettre, Mutiler)
Analysons la situation de notre démocratie qui se dégrade de jour en jour. Les violences policières ne sont le reflet d’un néolibéralisme qui ne veut plus de contestations et qui augmente en permanence les budgets de l’armée avec des militaires et des policiers toujours plus équipés.
Gauchistement votre,
Le Gauchiste