A l’occasion de la sortie du livre de Renaud Garcia sur Pierre Kropotkine, les éditions Le passager clandestin nous proposent de nous replonger dans les théories de l’anarchiste français. Cet auteur a récemment été popularisé par Pablo Servigne et sa thèse sur les fourmis qu’il a lui-même repris dans son livre Comment tout peut s’effondrer (2015) chez les éditions du Seuil.

(Pablo Servigne a popularisé la notion de collapsologie avec son ouvrage Comment tout peut s’effondrer ? de 2015)

Dirigée par Serge Larouche, la collection « Précurseur · ses de la décroissance » a pour objectif de se réapproprier des auteurs qui ont permis le développement d’une pensée critique et authentiquement anticapitaliste. L’autre objectif est de faire connaître les idées de la décroissance en tant que dépassement de la croissance et du paradigme selon lequel la croissance est infinie.

Encensé par Georges Orwell qui le considère comme un « Jésus blanc », Kropotkine figure parmi les grands théoriciens de l’anarchisme avec Proudhon et Bakounine. Son oeuvre est liée à un profond activisme politique et une opposition ferme à la Ier Internationale et plus généralement au marxisme-léninisme.

 

 

 

Prémices de l’entraide

 

Enfin de la dynastie des Riourikides, Pierre Kropotkine fait des études exemplaires et se voit proposer des hauts postes à l’armée, postes qu’il refuse. Son époque est marquée par a théorie évolutionniste qui cherche à contredire les analyses théologiques avec notamment Darwin et L’origine des espèces (1859).

(L’origine des espèces de Darwin 1859 a révolutionné la civilisation occidentale)

L’intellectuel russe rejoint finalement l’armée cosaque en Sibérie orientale puis les ouvriers du Jura en 1872, date à laquelle il devient anarchiste. Il est emprisonné à tort en 1882 car accusé d’un attentat anarchiste puis est libéré en 1886 en grande partie grâce à Victor Hugo.

Il écrit ses principaux ouvrages La conquête du pain (1892) puis Champs, usines et ateliers (1898) et enfin L’entraide (1902) qui le rendent célèbre. Il soutient les révolutions russes tout en pensant que le marxisme-léninisme va broyer les ouvriers. Il meurt en 1921 à 60 kilomètres de Moscou. Le gouvernement russe accepte des obsèques où 100 000 personnes viennent se recueillir. 

(Kropotkine a beaucoup développé sa philosophie de la praxis anarchiste dans Champs, usines et ateliers de 1899)

Les écrits de Kropotkine sont un fabuleux outil de défense intellectuelle contre les darwiniens, les illuminés de la croissance et les malthusiens. C’est avec des théories novatrices que l’auteur russe nous amène vers d’autres lieux à découvrir.

 

 

L’entraide opposée au darwinisme

 

Pour Kropotkine, le développement du capitalisme a été en grande partie légitimée par le darwinisme social. Dès lors que le but est d’accumuler le plus de ressources, l’autre est un ennemi puisque les ressources sont limitées. Dès lors, les plus riches de notre société seraient les mieux adaptés et les plus intelligents, leur richesse est dès lors légitimée. Des auteurs comme Herbert Spencer avec L’individu contre l’Etat (1884) utilisent le darwinisme social pour légitimer le capitalisme et la non-aide aux pauvres qui meurent plus jeunes car moins adaptés selon lui.

Alors que Marx et Durkheim se contentent de contredire Darwin sur le lien entre nature et société, Kropotkine décide de contredire Darwin sur sa théorie elle-même en soulignant que l’auteur britannique ne justifiait pas l’ordre social humain avec sa théorie des espèces (Cf. La filiation de l’homme en 1871). Darwin a évolué dans un climat tropical alors que Kropotkine analyse les comportements humais en Sibérie. Dans le froid et la dureté de Sibérie, c’est l’entraide qui permet non seulement à chacun de survivre mais elle permet aussi d’augmenter les capacités intellectuelles de chacun.

(Contrairement aux idées reçues, Darwin avec La filiation de l’homme de 1871 n’a jamais utilisé son analyse sur l’évolution des espèces à l’homme)

Tout cela soulève plusieurs questions. Existe-t-il donc un darwinisme « sympathique » ? Comment se fait l’entraide ? Est-ce que l’entraide à l’intérieur d’un groupe ne se fait pas aux dépends d’un autre (Cf. Huntington) ? Kropotkine y répond précisément dans L’entraide (1902).

 

 

 

L’entraide contre le malthusianisme 

 

En plus de son opposition au darwinisme, Kropotkine est également un grand opposant au malthusianisme. Avec son Essai sur la population (1778), Malthus voit un danger entre l’augmentation de la population qui est exponentielle et la croissance qui est arithmétique, il faudrait donc diminuer la population (vision partagée par des libertaires comme Emma Goldman et la « grève des ventres »). 

(Les libéraux ont beaucoup utilisé L’essai sur le principe de population de Malthus pour contrôler les naissances et la population)

Darwin a beaucoup lu Malthus et utilise ses théories. A travers Darwin, c’est également Malthus qui Kropotkine entend contredire.  En s’alliant à Polanyi, Kropotkine contredit l’idée de Malthus selon laquelle la société économique est régie par des lois qui ne sont pas des lois humaines. Or, pour l’anarchiste russe, la science économique est avant tout régit par des lois humaines.

Dans le contexte actuel, il apparait difficile de ne pas penser au malthusianisme tant le niveau de vie occidental est élevé et qu’il sera difficile de le faire diminuer tout en partageant les richesses. La vitesse vers laquelle nous devrions aller vers la décroissance est si incertaine que l’idée originelle de surpopulation nous guette.

Toute la réflexion d’Emma Goldman sur le féminisme et le néo-malthusianisme (l’émancipation des femmes et de leur corps pour dire si elles veulent procréer ou non) a été peu suivie par Kropotkine car il la jugeait pas assez portée sur l’établissement sur l’anarchisme. L’histoire donne peu raison à Kropotkine car il y a aujourd’hui un vrai problème climatique qui mérite qu’on se penche sur les théories de Malthus.

(Emma Goldman a théorisé une émancipation des femmes par le contrôle de leur corps qui pouvait être vu comme la validation des théories de Malthus)

 

 

L’entraide et la décroissance

 

Tout l’intérêt de relire Kropotkine est de penser sa théorie de l’entraide avec la décroissance. Pour éviter une potentielle dictature verte, l’idée est décroître suffisamment avant que les famines et les guerres civiles démarrent. Comment faire ?

 

    Repenser l’économie

 

Le premier préjugé contre lequel se bat Kropotkine est celui de la rareté. Pour lui, la rareté n’est pas naturelle mais provient de la mise en place d’institutions qui privent la majorité de la population des moyens de production et de la richesse. 

Il n’oublie pas que la typologie d’une population et de ses besoins dépend de son histoire, de sa géographie et autre. Pour cela, il propose d’établir une politique avec des conseils où chaque peut exprimer ses besoins pour produire seulement selon les besoins dans la tradition de Marx.

 

   L’intégration du travail

 

C’est dans Champs, usines et ateliers (1899) que Kropotkine perfectionne sa vision de la praxis. Dans la philosophie de l’action de l’intellectuel russe, c’est lors de la production même que les besoins de chacun se comprennent en se posant la question « Pourquoi je travaille ? »

C’est toute une réflexion sur la société technicienne qui est proposée. Dans une entreprise pleine de machines, il y a ceux qui décident et ceux qui exécutent. Pour Kropotkine, il faut séparer les « techniciens du savoir », c’est-à-dire les intellectuels et ceux qui exécutent et faire en sorte que chacun exécute. C’est d’une exécution commune que doivent émerger les intellectuels et non pas d’une séparation du travail faite à priori.

En ce sens, l’industrialisation n’a pas été un progrès car la division entre prolétaires et propriétaires a détruit un socle commun des intellectuels. Au Moyen-Âge et à l’époque moderne, les intellectuels d’un même corps de métier se rencontraient et innovaient au sein même d’un corps de métier, ce qui n’est plus le cas.

 

 

 

   Pour une écologie urbaine

 

Face à la monstruosité des villes que l’auteur russe change antisociales, il propose de dégonfler les villes en créant des « villages industriels » chacun ayant ses spécificités. Son échelle, sa taille critique privilégiée est l’échelle régionale car elle donne une identité à ceux qui y habitent et permet d’être suffisamment grande pour accumuler suffisamment de savoir et faire en sorte que les habitants partagent ce savoir et les ressources.

(Lewis Monford s’est beaucoup inspiré de Kropotkine pour immaginer de nouveaux modèles de villes aves The Culture of cities de 1938)

C’est dans cette perspective kropotkienne que Lewis Momford propose une fédération de cités à l’échelle régionale dans The Culture of Cities (1938). Murray Boockhin s’est aussi beaucoup inspiré de Kropotkine pour son idée du minimalisme libertaire 

 

 

Retenons de Pierre Kropotkine toute sa réflexion sur la praxis de l’anarchisme, autrement dit la philosophie de l’action de l’anarchisme avec des propositions concrètes sans délaisser la théorie. Malgré quelques erreurs au vu des évènements, n’oublions pas l’authenticité de sa pensée et de sa personne

 

Gauchistement votre,

 

Le Gauchiste