Aux origines de l’écosocialisme
Inspirée des combats allant milieu des années 1970 à nos jours, l’écosocialisme se veut être une synthèse des courants alliant le marxisme primitif et l’écologie. Alors que les expériences socialistes du XXème siècle se sont avérées être des capitalisme d’Etat (URSS, Cuba, Chine de Mao), Michael Löwy se pose la question : comment concilier la théorie marxiste et l’écologie ?
(Le stalinisme, exemple de socialisme réel)
Les années 1970 ont été très fécondes. Une grande partie des mouvements altermondialistes actuels tire sa source de ces années-là (décroissance de Paul Ariès écoféminisme de Françoise d’Eaubonne, municipalisme libertaire de Murray Bookchin).
(François d’Eaubonne a fondé le concept d’écoféminisme. Voir article sur Le Gauchiste)
La France a fourni une grande quantité d’auteurs qui ont su allier le marxisme et l’écologie dès ces années-là (Henri Lefebvre, Guy Debord, Jean Baudrillard, Jacques Ellul). Parmi ces décroissants, il est à noter que certains s’inscrivent dans un anti—occidentalisme assumé (Serge Latouche) et d’autres dans une vision républicaine universaliste (Vincent Cheynet, Paul Ariès).
Stéphane Lavignotte propose un premier consensus entre l’approche marxiste qui veut s’attaquer aux conflits de classe et l’approche écologiste dans La décroissance est-elle souhaitable ? (2010)
(Stéphane Lavignotte nous propose une grande synthèse entre marxisme et écologie)
Qu’est-ce que l’écosocialisme ?
Michael Löwy nous propose une définition la plus exhaustive possible « L’écosocialisme est un courant politique fondé sur une constatation essentielle : la sauvegarde des équilibres écologiques de la planète, la préservation d’un environnement favorable aux espèces vivantes – y compris la nôtre – est incompatible avec la logique expansive et destructrice du système capitaliste […] Un socialisme non écologique est une impasse, et une écologie non socialiste est incapable de faire face aux enjeux actuels. »
Il ajoute : « Il faut ajouter à la première contradiction du capitalisme, examinée par Marx, entre forces et rapports de production, une deuxième contradiction, entre les forces productives et les conditions de production : les travailleurs, l’espace urbain, la nature. Par sa dynamique expansionniste, le capital met en danger ou détruit ses propres conditions, à commencer par l’environnement naturel – une possibilité que Marx n’avait pas suffisamment prise en considération. »
(Michael Löwy avait participé à cet ouvrage univrsitaire sur la pensée de Marx)
L’écosocialisme est une proposition radicale car elle s’attaque à la racine du problème. Elle se distingue des variantes productivistes des expériences du « socialisme réel » du XXème siècle. Le but est comme dans la théorie marxiste de collectiviser les moyens de production tout prenant en compte les aspects écologiques.
Quelle est donc la racine du problème en termes marxistes ? Elle est au niveau de la conception de la valeur pour Michael Löwy. Marx distinguait la valeur d’usage qui est produit par la mise en commun de la production ainsi que la socialisation de celle-ci. A travers cette production, chacun peut profiter de chaque bien matériel sans en aliéner aucun, il s’agit du travail réel. Au contraire, la production par des moyens privés de production amène à un travail abstraitet une valeur d’échange car le bien, détenu à chaque fois par une seule personne devient convoité et chacun souhaite se l’approprier, sans oublier que la propriété privée des moyens de production pousse à l’enrichissement personnel, les marchandises pouvant s’échanger les unes par rapport aux autres.
Qu’est-ce qui garantit que chacun ne voudra plus s’enrichir dans une société communiste ? C’est là le pari (pascalien) de Marx : Une société communiste où la valeur d’échange est abolie abolit dans le même temps le fétichisme de la marchandise ainsi que la volonté de s’enrichir.
Les marxistes écologistes considèrent que les premiers écrits de Marx contiennent la plus grande subversion de sa pensée et sa plus grande radicalité. Le jeune Marx est beaucoup plus libertaire, radical et … écologiste.
Le marxisme et l’écologie
Où se situent donc les réflexions écologistes dans l’œuvre de Marx et Engels ? La pensée de Marx sur l’écologie est en mouvement sur trois grandes périodes.
Parmi les tout premiers textes de Marx, les Manuscrits de 1844(1844) nous offrent une première idée. Il expose « Dire que la vie physique et intellectuelle de l’homme est indissolublement liée à la nature ne signifie pas autre chose sinon que la nature est indissolublement liée avec elle-même, car l’homme est une partie de la nature. » Il ajoute dans L’Idéologie allemande (1846) : « Dans le développement des forces productives, il arrive un stade où naissent des forces productives et des moyens de circulation qui ne peuvent plus être que néfastes dans le cadre des rapports existants et ne sont plus des forces productives, mais des forces destructives (le machinisme et l’argent) »
(Les Manuscrits de 1844 regroupent la substance de la philosophie de Marx avec L’Idéologie allemande de 1846)
Un deuxième mouvement du tournant des années 1850 voit Marx et Engels parler de « dominer » la nature comme dans la philosophie de Descartes. Or, cette idée de « domination » de la nature peut également être comprise comme domination des pulsions humaines à dominer la nature et non la domination directe de la nature. Cela revient plutôt à une volonté de dominer avec la nature par l’esprit plutôt que dominer la nature. Surtout, la fascination de Marx pour la civilisation n’a d’égal que sa haine de la victoire de la valeur d’échange sur la valeur d’usage.
Enfin, le Capital nous offre un dernier revirement dans la pensée de Marx. Le philosphe découvre les travaux de Justus Von Liebig sur l’épuisement des sols entre 1865 et 1866. Il dit dans le Livre I « Le socialisme est une association d’êtres humains libres qui travaillent avec des moyens communs de production. » Le livre III ajoute « Les producteurs associés règlent rationnellement leurs échanges avec la nature. »
(Le Capital reste l’ouvrage de référence de Marx malgré ses aspects parfois trop économicistes)
Malgré tout, les thèmes écologiques n’occupent pas une place centrale dans la pensée de Marx et Engels. La seule continuité dans la pensée de Marx est le refus de la séparation capitaliste entre les humains et la Terre. Il n’y a pas plus non plus d’analyse précise du rapport entre le matérialisme historique et l’écologie.La notion d’écologie est évolutive et ne saurait être figée. Les matérialités de Marx en mouvement aussi contradictoires soient-elles ne seraient donc pas nos mêmes matérialités ?
Il ne faut pas oublier que le système philosophique matérialiste de Marx s’applique aussi à lui-même. C’est en lisant Hegel et le matérialisme dialectique que Marx développe ses contradictions et arrive finalement à ce qui est le grand livre de sa vie : Le Capital.
Conclusion
L’écosocialisme qui est en donc un retour au marxisme primitif, c’est-à-dire aux premiers textes de Marx, à savoir les Manuscrits (1844) ou encore L’Idéologie allemande (1846).
(L’Idéologie allemande, principale oeuvre philosophique de Marx avec les Manuscrits de 1844)
L’intérêt de l’ouvrage présent repose sur la l’explication de la présence de l’écologie dans la pensée de Marx. Cette application de la pensée de Marx a l’écologie se doit d’être complétée par la pensée marxienne associée à d’autres systèmes d’oppression (patriarcat, colonialisme). L’écosocialisme ne peut donc pas englober la totalité des luttes.
Ce néologisme sert avant tout de défense intellectuelle face à la situation actuelle. Michael Löwy estime qu’il est une fin en soi alors qu’il apparaît davantage comme une introduction méthodologique. Surtout, l’écosocialisme part de la pensée de Marx et y ajoute des auteurs comme Charles Fourrier ou encore Elisée Reclus pour développer la pensée de l’homme à la nature.
A cette introduction méthodologique doit s’ajouter les prémices du marxisme (le matérialisme dialectique, le matérialisme historique, le mouvement réel), celles de l’écologisme (l’Etat stable de Georgescu-Roegen), du féminisme (écoféminisme, féminisme matérialiste), de l’antiracisme (décolonialisme).
(Un des derniers ouvrages publiés par Michael Löwy)
Rappelons-nous de la théorie marxiste qui reste essentielle pour comprendre les rapports de classe et notre libération. Michael Löwy nous propose ici une lecture très strcuturée alliant le marxisme et l’écologie.
Gauchistement votre,
Le Gauchiste