Historien, théoricien de l’art et militant révolutionnaire, Daniel est une figure majeure du communisme libertaire en France au XXème siècle. L’ouvrage Pour le communisme libertaire (2003) constitue un ensemble de textes posthumes recueillis par les éditions Spartacus pour réunir les principaux éléments de sa pensée politique.

A travers un grand nombre de textes publiés entre les années 1950 et 1980, nous retrouvons toute la complexité et les actions révolutionnaires de Guérin ainsi que sa trajectoire intellectuelle et politique. Son parcours reste somme toute classique. Il démarre au Parti communiste français en étant fasciné par Lénine et Trotsky. Il se rallie au parti socialiste ouvrier et paysan en 1938 aux côtés de René Lefeuvre qui fonde les éditions Spartacus.

Déjà il entrevoit les limites du marxisme léninisme à la fin des années 1930. C’est au sortir de la Seconde Guerre mondiale qu’il s’écarte du marxisme-léninisme en découvrant la philosophie libertaire. Il milite avec la Fédération anarchiste (FA) à partir de 1953 puis à la Fédération communiste libertaire (FCL) C’est avec  Jeunesse du socialisme libertaire (1959) que son engagement pour le communisme libertaire s’enracine. Il ne lâchera plus le communisme libertaire.

(Jeunesse du socialisme libertaire en 1959, un des premiers essais libertaires de Daniel Guérin)

La phase anarchiste de Daniel Guérin se découpe en trois phases. D’abord l’anarchisme classique de Bakounine, Stirner et Proudhon, puis un relecture de Marx et enfin une redécouverte de la pensée libertaire. Au marxisme-léninisme primitif, il s’est donc déplacé vers les premiers anarchistes avant de retrouver des racines marxistes qu’il allait relier à ses lectures libertaires. 

 

 

Quels sont les différents types de socialisme ?

 

Tout comme la pensée socialiste, la pensée du communisme libertaire se développe au XIXème siècle. Principal socle du socialisme, le marxisme se développe autour de récupérations de Marx (Marxisme-léninisme, anarchisme, trotskisme). 

Guérin observe trois grands types de socialisme au XIXème siècle. Il distingue le socialisme utopique de la tradition française (Fourier, Saint-Simon) du socialisme autoritaire de Blanqui et Louis Blanc et enfin un socialisme libertaire symbolisé par Louise Michel.

(Charles Fourier fait partie des tout premiers socialistes utopiques avec son idée du phalanstère)

 

 

Le XXème siècle ayant vu le socialisme autoritaire triompher. Daniel Guérin nous rappelle que beaucoup de traditions socialistes successives ont existé. Dès lors, il convient de ne pas rejeter en bloc les idées du XIXème siècle mais plutôt de les adapter. La Ière Internationale oppose la radicalité de Marx (qu’on retrouve chez Rosa Luxemburg et les situationnistes) et l’anarchisme de Proudhon. Il ne s’agit pas de tout opposer en permanence mais de partir de la philosophie libertaire et des acquis du marxisme pour avancer.

Qui plus est, l’ancien activiste de FHAR rappelle que les dérives autoritaires du marxisme-léninisme avaient été prévues par Rosa Luxemburg dans un texte de 1904. Elle répondait à l’essai Que faire ? (1902) de Lénine. La révolutionnaire allemande prévoyait le capitalisme d’Etat, l’autoritarisme et la centralisation un an avant les révolutions russes de 1905 et celles de 1917.

(L’essai de Lénine Que faire ? de 1902 qui inaugure la tradition marxiste-léniniste)

 

Pour Guérin, le marxisme et l’anarchisme ont les mêmes objectifs. Seulement, la révolution russe de 1917 a brisé les soviets en a laissé place à l’autoritarisme issu directement du marxisme-léninisme. Le divorce entre anarchisme était alors consumé. Reste alors à le faire renaître.

 

 

Quelles sont les spécificités du communisme libertaires ?

 

Dès lors, Daniel Guérin est hanté par une idée : rassembler le marxisme et l’anarchisme sous l’idée du communisme libertaire. L’idée est simple : allier les premiers écrits philosophiques du jeune Marx libertaire (Manuscrits de 1844 puis L’idéologie allemande) et y ajouter la philosophie libertaire/anarchiste (modèles concrets d’autogestion, communisme de conseils), chacune des deux philosophies étant une philosophie de la praxis.

 

(L’idéologie allemande de Marx de 1846 constitue une des oeuvres les plus reprises par les marxistes)

 

 

Après une vingtaine d’années à militer pour les idées marxistes-léninistes, la découverte de Rosa Luxemburg chamboule tout son univers intellectuel. Il y découvre notamment un texte critique de la militante révolutionnaire allemande de 1904 qui anticipe la future bureaucratisation des régimes s’inspirant du marxisme-léninisme. Les intuitions libertaires de Guérin se trouvent justifiées intellectuellement par les analyses de la tradition de l’ultra-gauche / communisme de conseils Hegel-Marx-Luxemburg. Il rappelle que ni Proudhon ni Bakounine ne voulaient prendre le pouvoir par le haut mais créer des communautés auto-gestionnaires et diviser en maximum le pouvoir pour que chacun puisse prendre sa part.

(Rosa Luxemburg avait dénoncé les possibilités autoritaires et centralistes du marxisme-léninisme dans Centralisme et démocratie de 1904)

 

La particularité du communisme libertaire est de piocher dans les textes du marxisme primitif tout en associant les premières théories de Marx à la philosophie libertaire. Tout ce travail a été par exemple celui de Joseph Déjacque, inventeur du terme « libertaire ». La philosophie libertaire étant par essence une matérialité philosophique, elle ne peut dépendre que des conditions matérielles dans lesquelles elle se crée et dans lesquelles elle se développe. Elle laisse donc une grande part à l’autonomie de ceux qui la développent et la mettent en application.

(Les éditions La Fabrique ont réédité les Ecrits libertaires (1847-1863) de Joseph Déjacque, inventeur du mot « libertaire »)

 

 

Pourquoi croire au communisme libertaire ?

 

Dans ses articles, Daniel Guérin nous expose pourquoi le communisme libertaire est l’avenir de nos sociétés. Il rappelle que les principes de l’anarchisme n’ont que peu vieilli. D’abord, l’anarchisme souhaite rendre les travailleurs propriétaires des moyens de production. Il se dédouble d’un fonctionnement fédéraliste qui n’a pas été conçu hors-sol mais qui a été théorisé par Proudhon dans ce qu’il a vu de la Révolution française. Enfin, l’anarchisme prend en compte toutes les possibilités révolutionnaires pour arriver à son objectif (anarcho-syndicalisme, anarchisme individuel, éco-anarchisme) et n’est pas dogmatique.

(Proudhon avait écrit relativement jeune son essai Qu’est-ce que la propriété ? de 1842)

Dans l’organisation anarchiste, la philosophie libertaire permet de garantir à l’individu qu’il peut s’associer avec qui il le souhaite afin de garantir la plus grande partir de sa liberté. La pensée libertaire est donc d’un certaine manière l’aboutissement de la philosophie des Lumières du XVIIIème siècle qui avait théorisé toutes ces libertés mais de façon hors-sol. La philosophie libertaire reprend le système philosophie matérialiste de Karl Marx en voulant associer la nécessité d’une liberté individuelle la plus grande à des systèmes d’organisations les plus librement crées.

Dans un société anarchiste, l’individu n’est donc plus un moyen comme dans les sociétés productivistes mais plutôt un fin. L’anarchisme entend aider l’individu à s’épanouir pleinement, à cultiver et dégager toutes ses forces créatrices.

(Daniel Guérin avait consacré un ouvrage à la pensée de Rosa Luxemburg sur la sopontanéité révolutionnaire, déjà chez Spartacus)

Aussi, les expériences révolutionnaires nous prouvent la possibilité de faire émerger des mouvements révolutionnaires et cohérents. Alors que la Commune de Kronstadt a été réprimée dans le sang avec une enthousiasmante rébellion, la révolution sociale espagnole a eu de grandes réussites avant d’être battue par les forces bureaucrates. Guérin distingue deux grands révolutions dans l’Occident, la Révolution française et les Révolutions russes. Dans les deux cas, l’échec ne vient pas seulement de fatalités historiques ou de mauvaise préparation des classes prolétaires. Le problème a surtout été, pour Guérin, qu’un élite intellectuelle a pris le pas sur la spontanéité révolutionnaire des masses, faisant échouer la révolution. La question de l’organisation du pouvoir et de l’économie post-propriété privée sont des débats infinis. Les marxiste-léninistes la résolvent en favorisant l’idée d’une classe révolutionnaire qui doit guider les masses alors que les libertaires souhaitent laisser la spontanéité des masses faire tout le travail. Seuls Marx et Engels ont tenté de concilier les idées autoritaires et libertaires, sans jamais y parvenir. 

(Ouvrage Pour le communisme libertaire de 2003 qui reprend tous les textes libertaires de Daniel Guérin)

Remémorons-nous l’apport de Daniel Guérin au socialisme français du XXème siècle. Ses textes nous ont à la fois permis de retrouver le marxisme primitif tout en prenant en compte l’originalité de l’anarchisme et des auteurs tels que Rosa Luxemburg et Luckàs.

Gauchistement votre,

Le Gauchiste