Philosophie et directrice de recherche au CNRS, Geneviève Fraisse a voué la plus grande partie de sa vie à la recherche et plus précisément à l’épistémologie politique de la pensée féministe. Autrement dit, son ambition a été de comprendre comment les philosophies féministes se sont construites, dans quels contextes et comment elles se sont politisées.
Une telle étude consiste alors en une analyse des luttes symboliques et des luttes de pouvoir au sein du mouvement féministe mais également dans son intégration aux différents espaces sociaux (université, école, famille) et sa relation aux autres mouvements auto-proclamés émancipateurs. Très proche de la gauche radicale, elle partage des amitiés avec Jacques Rancière et Eric Fassin, tous les deux enseignants-chercheurs à l’université Paris 8.
(Geneviève Fraisse est proche des mouvements de gauche avec Jacques Rancière et Eric Fassin)
Fidèle à une philosophie de la praxis, Geneviève Fraisse indique que c’est dans les pratique et la révolte que les théories développées montrent si elles sont justes. Rien ne saurait alors contredire l’idée qu’il faut davtange s’intéresser davantage à ce qui a été fait par les groupes subversifs que par les écrits hors-sol (bien qu’ils soient également signifiants).
Au coeur de cet ouvrage, la philosophe féministe nous amène aux confins des luttes et des textes de féministes allant de 1975 à 2011. L’autrice nous propose un découpage en plusieurs parties déterminées par l’intensité des conflits à chaque époque.
Entre révoltes et éruditions (1976-1984)
Plutôt oublié par les évènements de Mai 68 où les hommes avaient tendance à prendre la parole aux femmes, une émulation nait au milieu des années 1970 à la fois autour de la construction de groupes subversifs dans la rue mais également par la recherche universitaire. Beaucoup de micro-mouvements prennent forme tandis que la découverte de la bibliothèque Marguerite Durand en 1973 marque un tournant.
(La bibliothèque Marguerite Durand, lieu privilégié de la connaissance du féminisme)
Le féminisme des années 1970 connait un nouveau bond avec la recherche universitaire. Le constat est clair, les femmes sont les grandes oubliées de la connaissance. La connaissance sur elle existe mais elle réside dans les coulisses de l’histoire, dans les foyers, dans les angles morts du pouvoir.
Le renaissance du féminisme nait de la déception de son intégration dans la gauche plurielle. Encore aujourd’hui il nous parait très difficile de nous remémorer des femmes avant participé à Mai 68. De là se développe un mouvement féministe autonome. Contrairement au parti ou à l’organisation, le mouvement féministe autonome crée ses propres structures et modèles organisationnels. Les initiatives n’en sont que plus libres comme le 8 mars 1975 où Françoise Giroud est moquée dans le film Miso et Maso. Autre exemple : celui de la librairie des femmes à Choisir (avec Gisele Halimi et Simone de Beauvoir).
(Extrait du film Miso et Maso)
Perçu par certains comme bourgeois, le MLF et son institutionnalisation participent à des combats vécus par toutes les femmes (droit à l’avortement, lutte contre la culture du viol, toute discrimination). Le critique est féroce parmi les féministes elles-mêmes qui dénoncent le MLF comme a-historique et seulement intellectuel (Groupe Psych et Po d’Antoinette Fouque). Un certain consensus estime que le MLF a d’abord été un détonateur pour beaucoup de groupes féministes subversifs avant de devenir un repères d’intellectuelles hors-sol.
(Antoinette Fouque, symbole de l’intellectualisation du féminisme)
Le MLF et le gauchisme
Il ne faut pas oublier que le MLF nait de la haine des groupes gauchistes mixtes de 1968. Dès lors, le mouvement féministe a du mal à s’inscrire dans la tradition du mouvement ouvrer contrairement au mouvement autonome. Le mouvement féministe s’autonomies beaucoup autour de son genre plutôt que dans la classe sociale révolutionnaire qu’est le prolétariat dans le marxisme.
Surtout, toutes les femmes au foyer n’étaient pas incluses dans la lutte des classes car elles ne travaillaient pas. Par sororité, les femmes dans les cortèges de manifestation ne décident pas toujours de rester avec leur syndicat et se réunissent parfois entre femmes.
(Revendications féministes pendant Mai 68)
Une chose est certaine, la question de la libération des femmes dans les années 1970 est davantage discutée au sein de mouvements autonomes que dans des groupes gauchistes
Mouvement des femmes et internationalisme
Longtemps regroupé dans des petits groupes subversifs, le mouvement des femmes tente de s’internationaliser dans les années 1970. Antoinette Fouque fait partie de ces personnages, elle qui a participé à la fondation de la société française de psychanalyse en 1953 avec Jacques Lacan et Françoise Dolto.
(Antoinette Fouque a beaucoup travaillé avec Jacques Lacan et Françoise Dolto)
Contrairement au mouvement ouvrier qui se structure au début du XXème siècle, le MLF nait dans les années 1970. Dès lors, tous les échecs du mouvement ouvrier ont été analysés afin de ne pas les recopier. C’est en ce sens que le mouvement autonome au sein du féminisme prend un essor aussi grand. En effet, le MLF n’est pas la répétition d’autres idéologies. Il a su directement obtenir des droits juridiques et financiers bien supérieurs à ceux que demandaient la classe prolétaire. Il n’a pas pris le pouvoir à l’intérieure d’une situation conflictuelle, il a fait acte d’autorité par la voie juridique et financière.
Gardons en mémoire toutes les subtilités du Mouvement de libération des femmes dans sa politisation. Le travail précieux de Geneviève Fraisse est un bon guide d’épistémologie de la pensée politique et philosophique féministe. Il est certain que ces façons de lutter doivent inspirer toute lutte actuelle.
Gauchistement votre,
Le Gauchiste