Docteur à l’EHESS et enseignant chercheur, Florian Vörös nous propose à travers cet ouvrage paru récemment chez la Découverte une partie des travaux qu’il a menés dans son cadre d’études : les porn studies.
D’emblée, il expose « Si quelque chose existe, il en existe également une version pornographique. Il n’y a pas d’exception ». On voit une diversité de vidéos mais des représentations de la sexualité masculine encore limitées.
Il décrit un manque de moyen sur l’éducation à la sexualité et la présence d’une éducation hétéronomée. (Cf. Aurore Le Mat et sa thèse publiée en 2020 chez remue-ménage, Hétéro l’école ? Plaidoyer pour une éducation antioppressive à la sexualité).
Ces discours sont teintés d’hypocrisie car la pornographie influence autant mal les jeunes que les adultes. Il y a de la domination masculine autant chez le porno « soft » que dans le porno extrême. Il ajoute que le discours antiporno est teinté de racisme antinoir et antiarabe (polygamie, homophobie et délinquance supposée).
Florian Vörös nous propose un double objectif du livre :
° Explorer les fantasmes masculins
° Interroger les hommes sur leur fantasme et le fait que ces fantasmes sont liés à la domination masculine, aux rapports de classe, aux rapports ethniques
Une méthodologie particulière
On partage peu ses fantasmes (Cf. Erving Goffman, La Mise en scène de la vie quotidienne. Tome 1 : La présentation de soi, Minuit, Paris, 1973). Florian Vörös s’inscrit sur un forum pour chercher des hommes prêts à se livrer à ses questionnaires. Il les rassure sur son statut de chercheur et dit qu’il ne les juge pas, qu’il est à la fois sociologue et parfois consommateur lui aussi.
Il découvre rapidement un type particulier d’interlocuteur car ceux qui ont répondu à son annonce sont surtout des profils qui lui ressemblent. (blanc, hétéro, classe supérieur).
Florian Vörös veut atténuer la distance entre son discours scientifique « actif » et le discours instinctif « passif » des interrogées. (Cf. Léo Thiers Vidal, De l’ennemi principal aux principaux ennemis. Position vécue, subjectivité et conscience masculine de la domination, préface de Christine Delphy, L’Harmattan, Paris, 2010)
Les discours dominants hétéronormés blancs
Les porn studies découvrent rapidement une idée forte : l’expression sexuelle de la virilité n’est pas une condition suffisante pour accéder à la « masculinité hégémonique ». La virilité est soumise à des contradictions internes, il ne faut pas paraître « beauf » ou « racaille ». Les clichés racistes et de mépris de classe permettent d’exprimer une virilité en disant qu’il en existe une « bonne » et une « mauvaise ».
En outre, la masculinité blanche jamais questionnée car normative. Elle est à la fois invisible car acceptée par tous mais aussi omniprésente car la norme. (Cf. Mara Viveros Vigoya – Les Couleurs de la masculinité. Expériences intersectionnelles et pratiques du pouvoir en Amérique latine, trad 2018, La Découverte, Paris).
Les entretiens sont rapidement orientés vers la pratique de la masturbation qui est un élément essentiel de la consommation de pornographie. Les études de sciences sociales ont un principal mérite qui est de comprendre que le spectateur n’est pas seulement passif, il est aussi actif dans la construction de sa consommation de pornographie. Cf. Laura Mulvey – Au-delà du plaisir visuel. Féminisme, énigme et cinéphilie, 2017)
A travers les entretiens, Florian Vörös cerne les habitudes et les descriptions que les hommes font de leurs expériences de visionnage. Parmi les hommes interrogés, peu d’hommes hétérosexuels avouent et parlent à leur compagne, ce qui renforce l’idée de la séparation entre la « maman » et la « putain ». Il découvre aussi qu’il y a une Double injonction pour les femmes qui ne doivent être ni trop féminines (pour que les hommes ne soient pas séduits) ni pas assez féminines (pour ne pas être vulgaires et ne pas dégoûter les hommes. L’expression sexuelle des femmes n’est valorisée qu’à travers un prisme masculin (femme qui se comporte comme une « salope » par exemple) (Cf. Gail Pheterson – Le prisme de la prostitution)
Comment expliquer pour ces hommes de regarder des images aussi violentes, sachant qu’ils comprennent eux-mêmes qu’il existe de la domination masculine et des stéréotypes raciaux ? (Cf. Olivia Galazé – Le mythe de la virilité, un piège pour les deux sexes).
La relation à la pornographie, des études diverses
Les années 1970 mettent l’accent sur l’idée que la vie privée est aussi politique. Le MLF veut comprendre articulation idéologies et pratiques sexuelles dans vie privée. Les premières études sur masculinité dans la vie privée se font dans les années 1980. Les fantasmes sont différents chez les hommes mais la quête de virilité reste partout, il faut « séduire ». Les féministes lesbiennes du MLF le découvrent aussi chez les gays dans les luttes.
La grande difficulté des porn studies est de ne pas catégoriser d’emblée les utilisateurs comme déviants. L’idée de moraliser les utilisateurs de la pornographie date du XIXème et surtout IIIème REP (fléau supposé de la carte postale porno avec bcp de censures).
C’est surtout dans le second XXème aux Etats-Unis que se développent des études sur l’influence du porno sur les comportements (hypothèse que ça rend violent). C’est surtout les féministes, commission Meese sous Reagan en 1986. La méthodologie est très bancale et pas du tout appuyée et justifiée. Le travail est très amateur (Cf. Ruwen Ogien – Penser la pornographie 2003).
Florian Vörös rappelle que beaucoup de féministes des années 1970 comme Andrea Dworkin veulent interdire la pornographie. (Cf. Laura Lederer – L’envers de la nuit, les femmes contre la pornographie, texte de Dworkin « La pornographie et le désespoir »). Au-delà des divergences, les actrices féministes insistent sur le fait que les représentations pornographiques participent de la production symbolique de l’ordre social.
Florian Vörös rappelle à travers les travaux de Sara Ahmed que l’identité sexuelle est toujours en mouvement. On peut se définir par l’affirmation, la négation ou même le fait de ne pas être sûr. L’orientation sexuelle comme mouvement des corps et des esprits vers les autres.
Le jugement sur les goûts sexuels très récente. Foucault en parle dans son Histoire de la sexualité, Tome 1 – La volonté de Savoir (1976). L’autosexualité est une manière de se prouver à soi-même qu’on est dans la norme.
L’exemple du pléthysmographe pénien (appareil mesurant l’afflux sanguin dans le penis face au visionnage d’images pornographiques), inventé par Kurt Freund est prégnant pour comprendre la relation que certains pensent directe entre ce que nous sommes et ce que nous regardons. Or, On peut aimer visionner de la pornographie non conforme à son identité sexuelle pour la simple raison qu’on associe certaines pratiques à d’autres formes d’orientation sexuelle
La difficulté à remettre en cause l’hétéronormativité face à la domination masculine et aux stéréotypes ethniques
L’enseignant-chercheur tente de comprendre les mécanismes qui poussent les hommes hétérosexuels à préserver leurs privilèges dans les rapports de domination.
La question de l’identité masculine y est rapidement un élément primordial. L’humour sexuel est hétéronormatif, c’est un lien important de la camaraderie masculine. Beaucoup d’hommes jeunes qui se masturbent ensemble comme rite de passage vers l’âge adulte mais ont peur de l’homosexuel qui pourrait être avec eux. (Cf. Deborah Cameron – Straight talking : The sociolinguistics of heterosexuality)
Très vite, Florian Vörös constate que la critique des stéréotypes négatifs sur les consommateurs de pornographie est une manière pour eux de ne pas faire d’auto-critique sur leurs pratiques. Il constate également que les hétéros et homos définissent eux-mêmes des critères normatifs pour éviter de se remettre en question.
Les hétéros sont ceux qui se considèrent le plus comme « normaux ». Jane Ward propose de renverser cette idée en disant qu’ils « fétichisent la norme ». La définition des hétérosexuels de leur hétérosexualité se fait avant tout par négation des autres sexualités, ce qui est le contraire des autres sexualités. L’hétéronormativité se fait sur le fait des autres (par ethnie, genre, classe sociale).
L’hétéronormativité est à la fois un rapport spécifique et normalisé avec les femmes (les essentialiser et essentialiser les possibles pratiques avec elles) et un rapport spécifique et normalisé avec soi-même (être excité par certaines choses et pas d’autres pour rester « normal »). C’est un rapport où les hommes imaginent que les femmes sont « disponibles » pour eux. C’est un fantasme de la domination ambivalent tant que les hommes se persuadent qu’il y a consentement alors qu’ils savent qu’il n’y a pas toujours consentement (Cf. Valery Rey-Robert – Une culture du viol à la française).
Pour être considéré comme un hétérosexuel « normal », il vaut mieux pour ces hommes en dire le moins possible car chaque nouvel élément peut perturber la construction mentale de ce qu’ils considèrent comme « normal ». (Cf. John Stoltenberg – Refuser d’être un homme pour en finir avec la virilité).
Finalement, les hommes hétérosexuels justifient leur non-remise en question de la domination masculine pour deux raisons (car il y aurait un ordre naturel de domination et car il minimisent le fait d’aimer ces rapports de domination) (Cf. Victoire Tuaillon – Les Couilles sur la table).
Des mécanismes de normativité sont similaires chez les homosexuels. Il y a un mépris pour les queers et les homosexuels efféminés de la part d’homosexuels car il y aurait les « vrais » et les « faux » hommes (Cf. Jean-Yves Le Tallec – Folles de France, repenser l’homosexualité.)
Le cas des sociabilités gays
Production et partage d’images font partie des pratiques importantes chez les homosexuels depuis longtemps (Cf. Thomas Waugh – Hard to imagine. Gay Male Eroticism in Photography and Film from Their Beginnings To Stonewall).
Ce qui plait aux hommes dans le visionnage du porno en salle c’est ce que ça suscite dans le public, le spectacle est dans le public.
Culture gay comme culture subversive qui permet de découvrir de nouvelles pratiques sexuelles (Cf. Colin Giraud – Quartiers gays).
Les hommes hétérosexuels, contrairement aux hommes gays, séparent totalement la pornographie qui est un monde à part de leur propre sexualité. Fortes attirances en fonction du critère ethnique. Florian Vörös étudie le cas des homosexuels car ce sont ceux qui acceptent le plus d’en parler. Certaines hommes sont déçus de la dite féminisation de certains gays arabes et noirs dans le Marais qui ne correspondent plus aux critères de beaucoup d’hommes gays blancs.
Sorte d’attirance des blancs gays vers les jeunes de banlieue arabes qui seraient des homophobes refoulés (Cf – Nacira Guénif-Souilamas – Les feministes et le garcon arabe)
Le cas des sociabilités gays
Dimensions volontaire des fantasmes hétérosexuels sur la supposée disponibilité des femmes et des hommes homosexuels blancs sur le stéréotype des Arabes et Noirs de cité. Dans les deux ces, ces deux supposés permettent de sécuriser la sexualité comme un espace où les blancs de classes supérieures dominent.
Florian Vörös insiste sur une dimension importante de son travail. Il nous pousse à « Se défaire de cette cuirasse de vertu républicaine est la condition sine qua non au développement d’une réflexion critique et incarnée sur les stéréotypes et les rapports de domination ». Il faut se défaire de cette position de « bon » et de « mauvais » spectateur de pornographie.
Conclusion
Le chercheur en porn studies conclut : « Se focaliser sur sur les seuls effets du porno, c’est de détourner de la question plus transversale des normes, des hiérarchies et des violences, dont sont porteurs les désirs sexuels, en particulier masculins. Ce ne sont pas seulement « les jeunes » qui ont besoin d’éducation à la sexualité et à ces représentations médiatiques. Nous en avons tous et toutes besoin, à commencer par ceux qui se pensent au-dessus de la mêlée parce qu’ils seraient soient disant plus « adultes » et plus « civilisés ».
Il ajoute « Les discours dominants sur la libération sexuelle invitent volontiers les femmes à adopter des comportements plus masculins afin de se « libérer ». Pourquoi ne pas inviter les hommes à se libérer de leur masculinité ? »
Gauchistement votre,
Le Gauchiste