Paru cette année chez Nada, L’anarchie (2021) est l’occasion de revenir sur les aspects principaux de la pensée politique d’un auteur quelque peu oublié : Elisée Reclus. Parmi les textes de cet ouvrage, on dénote quatre textes de Reclus qui ont été repris (L’Anarchie, L’évolution légale et l’anarchie, L’Anarchiste et Pourquoi sommes-nous anarchistes ?)
C’est avec une certaine cohérence que ces quatre textes ont été choisis car ils correspondent à des conférences (notamment celle de l’Université libre de Bruxelles) et autres extraits de journaux qui cristallisent l’essence de la pensée de Reclus sur l’anarchisme.
Géographie et anarchisme
C’est au travers du foisonnement intellectuel de la géographie qu’Elisée Reclus développe sa pensée. Il s’agit dès lors d’articuler en permanence un système de pensée (l’anarchisme) et une discipline (la géographie où les deux s’entremêlent en permanence.
Il étudie la géographie à partir de 1851 en découvrant la « philosophie de la nature » défendue par Carl Ritter. Il dépassera cette conception de la géographie en la substituant à la « géographie sociale ».
Il atteint la consécration internationale en 1868-1869 avec les deux volumes de La Terre qui combinent à la fois la géographie physique mais aussi ce qui deviendra la géographie sociale chez Reclus. En dehors de ses activités politiques, c’est la rédaction de son ouvrage monumental Nouvelle Géographie Universelle qui lui prend beaucoup de temps entre 1876 et 1894.
Matérialisme, anarchisme et communisme
Dès la fin des années 1840, il développe des idées matérialistes en puisant dans la philosophie de l’histoire, dans le souhait de la justice sociale et dans la critique radicale de l’électoralisme. Tout comme Marx en 1850 et 1851 avec ses deux essais historiques (La lutte des classes en France et Le 18 brumaire de Louis-Napoléon Bonaparte), Elisée Reclus tente de comprendre la défaite des révolutions de 1848. Pour cela, il conçoit sur le long terme son nouveau système intellectuel.
C’est dans ce système intellectuel qu’il place l’individu au centre de toute connaissance. Il n’existe naturellement aucune verticalité pour Reclus. Il ne pourrait donc dans chaque aspect de la vie sociale (éducation, religion, famille), n’y avoir que de l’horizontalité. Après avoir perdu sa nature au sortir de la communauté, c’est par construction sociale qu’il serait possible de revenir à cette horizontalité sans fin.
Cette horizontalité est la véritable source de la morale : en l’occurrence celle de la morale anarchiste. Son matérialiste se justifie ici « C’est la place qui fait l’homme ; c’est l’ensemble de la machine qui donne leurs diverses fonctions aux rouages ceux-ci doivent s’y adapter ».
Les années 1870 sont pour lui un renversement. Pour Reclus, la Commune a creusé le fossé qui séparait les gouvernants et les gouvernés. Il ne peut y avoir de retour en arrière possible sur le conflit entre travail et capital. Il participe activement à l’internationale anti-autoritaire de 1872 à Saint-Imier. C’est un libertaire convaincu. Une grande évolution va s’opérer dans sa théorie.
Il abandonne les théories de collectivisation de Bakounine en se rapprochant des idées de Pierre Kropotkine à partir de 1877. A un anarchisme collectiviste de Bakounine qui peut se résumer à « A chacun selon ses capacités, à chacun selon son travail », Reclus y répond un anarchisme communisme qui peut lui se résumer à « A chacun selon ses moyens, à chacun selon des besoins ». Autrement dit, Kropotkine et Reclus prônent une socialisation non seulement de la production mais aussi de la consommation. Cette idée est adoptée par la fédération jurassienne en 1880 au Congrès de La-Chaux-de-Fonds.
La question de l’organisation
Traversée par des interrogations théoriques, Elisée Reclus ne cesse de se positionner sur le modèle d’organisation à adopter.
Pour Reclus, il y a des phases historiques où la coopération est plus ou moins forte. La fin de l’histoire arrivera quand il n’y aura que des modèles coopératifs au sein de la production et de la consommation. L’anarchiste dordognais s’oppose à la vision naturaliste de Georges Renard et son Essai sur le socialisme qui pense qu’il existe une relation naturelle et a-historique entre le degré de soumission d’un peuple et sa possible rébellion (il prend l’exemple des esclaves). Reclus le contredit en expliquant qu’il existe bien d’autres déterminants).
Il ajoute que la place de l’éducation horizontale est très importante sans pour autant renier l’importance de l’insurrectionnalisme qu’il a porté avec Bakounine lors de la Commune de Paris. Il partage également avec Bakounine l’idée primordiale de ne jamais s’allier avec des gouvernements ou d’occuper des places de gouvernements au risque de reproduire ce que faisaient déjà les gouvernements en place.
Cette horizontalité doit être en oeuvre au sein de l’organisation anarchiste elle-même si elle veut pouvoir les reproduire lors de la prise de différents pouvoirs.
Gauchistement votre,
Le Gauchiste