« Il est aujourd’hui trop tard pour les grands ducs, d’adopter de nouvelles mesures, pour établit des conditions de vie supportables dans nos quartiers, qui de toute façon n’ont jamais été vivables et ne le seront jamais. Nous ne voulons plus de dialogue avec le gouvernement. Nos pères, nos familles ont suffisamment été abusés par les discours. Le dialogue est définitivement rompu. N’envisagez plus de nous endormir »

C’est avec cet extrait des Combattants émeutiers du 93 écrit en novembre 2005 qu’Alèssi Dell’Umbria démarre son ouvrage La rage et la révolte (2010). Le ton est clair, l’heure n’est plus aux négociations mais plutôt aux constats et aux possibilités de se sortir des difficultés pour les banlieues.

Ce texte est une réponse aux Indigènes de la République car pour Dell’Umbria, la révolte des banlieues de 2005 n’était pas une révolte faite pour être ensuite être présentés comme des victimes, c’était une révolte de combattants. Loin des livres de sociologues et autres urbanistes, le constat de l’auteur marseillais est tout autre : comprendre structurellement et en connaissant le terrain pourquoi de tels violences ont eu lieu.

De la révolte et de la rage dans les banlieues

C’est dans le contexte de la tolérance zéro décrétée en 2002 par l’intermédiaire de Xavier Raufier, un universitaire proche des milieux de l’extrême-droite, que la révolte des banlieues a lieu. Certains étudient l’hypothèse probable que la baisse d’approvisionnement en drogue des cités en 2005 a également eu une influence sur ma révolte des jeunes.

Chez les anarchistes, la propagande par le fait contre l’Etat s’appuyait sur des stratégies de long terme. Or, dans le cas des révoltes de 2005, l’Etat était directement attaqué sans organisations stratégiques.

Ces jeunes savent que leur existence médiatique ne peut exister que lorsqu’ils cassent. Et c’est bien en cassant sans donner de raisons qu’ils provoquent le plus grand scandale. Reprenant les analyses de Guy Debord et ses Commentaires sur la société du spectacle (1988), Alèssi Dell’Umbria rappelle que la stratégie du capital est de créer des compositions géographiques avec des rôles préétablis. Une banlieue qui s’embrase sans revendication spéciale est une hérésie pour le capital qui se voit être lui-même nié. Ici, le scandale n’est plus la forme négative de la célébrité, il est la célébrité que le capital ne peut pas réintégrer dans sa dialectique.

Ce sont les symboles de l’Etat qui ont été visés (commissariat, La Poste, voitures). Ces symboles sont visés car à la fois ils représentent peu de choses pour ceux qui cassent mais aussi car c’était ce qui était à proximité de chez eux. Cette haine représente quelque chose de particulier qui est la non-reconnaissance du capital en expansion, que ce soit à travers les idéologies que les infrastructures de la « gauche du capital » à savoir les associations, pompiers ou encore hôpitaux. C’est dans ce sens-là qu’il faut comprendre l’échec d’importer la révolte dans le centre-ville, sauf un peu à Lyon.

Etat, famille et banlieue

Depuis les années 1990, une déconnexion entre les adultes et les jeunes se développe contrairement à l’Angleterre. Contrairement aux autres pays européens, le déracinement est un processus continuel depuis les années 1870 et la IIIème République centralisatrice (mépris des langues régionales, des coutumes locales, centralisation). Aujourd’hui, les adultes font tout pour que les équipements locaux ne soient pas détruits. Mais manifestent-ils également quand il s’agit de revendiquer davantage de droits ?

  

La stratégie de l’Etat est claire : demander directement aux familles de faire respecter l’autorité alors même que l’autorité de l’Etat n’existe plus. C’est oublier que les pères sont si abimés et humiliés (RSA, chômage, difficultés financières) qu’ils ne représentent plus une quelconque forme d’autorité que l’Etat aimerait qu’ils aient. La rupture entre les générations se fait également ici.

Alors que les racines des jeunes de cités tout autant que des jeunes de banlieues pavillonnaires s’émiettent avec les valeurs familiales, c’est la marchandise et la réussite individuelle qui deviennent les seules échappatoires, à l’image de Tony Montana dans le film Scarface (haine du communisme, glorification de la réussite individuelle par le crime, individualisme).

L’urbanisme a été pensé pour éviter le relations de solidarité, que ce soit dans les maisons individuelles ouvrières éloignées les une des autres ou dans les cités dortoirs conçues comme des prisons. Georges Picot et Jules Siegfried proclament en 1895 « Corridors et couloirs seront proscrits, dans la pensée d’éviter toute rencontre entre les locataires. Les paliers et les escaliers, en plein lumière, devront être considérés comme la prolongation de la voie publique. »

Gauchistement votre,

Le Gauchiste