Avant les années 2000 et l’ascension du Front national, on prenait le mot peuple comme associé un ensemble de mythes positifs. Que faire donc avec le mot « peuple » ? L’abandonner, le rendre désuet, le reconquérir ?
Déborah Cohen propose de reprendre la perspective marxiste et la célèbre phrase « L’arme de la critique ne saurait remplacer la critique des armes » de Marx pour voir si les masses peuvent elles-mêmes prendre ces armes et ces critiques.
Engels et l’idéalisme allemand dans le marxisme
Engels publie La situation de la classe laborieuse en Angleterre en 1844 (1845) en décrivant cette classe laborieuse sans tenir compte la parole du « peuple » opprimé. Pour Déborah Cohen c’est lié au fait qu’il est inspiré par l’idéalisme allemand de son époque et notamment de Carlyle. Chez Carlyle, l’action prévaut sur la parole. Pour Gareth Stedman Jones, cet idéalisme explique la conception non verbale de la conscience qu’on trouve dans certains textes marxistes. Le but de Engels était précisément de voir quelles étaient les forces révolutionnaires en présence.
Antonio Gramsci poursuit cette idée en affirmant que c’est l’action qui détermine la politique en prenant l’exemple de Machiavel. Pour Machiavel, c’est l’action concrète de l’homme selon ses nécessités historiques qui fonde la politique et l’histoire.
Sophie Wahnich prend le contre-pied de ce matérialisme en étudiant la question du langage qui déterminerait le changement social et pas seulement l’action. Elle perçoit dans la Révolution française le fait que le peuple laisse l’Assemblée constituante décider. Elle considère ce silence comme un « silence atroce ». Pierre Kropotkine s’intéresse également à la Révolution française par rapport à son langage.
Pour un populisme de gauche ?
Dans ce cadre, certains intellectuels structuralistes et post-structuralistes comme Derrida, Lacan ou encore Chantal Mouffe pensent que l’opposition capital/travail n’est pas assez efficace pour décrire les oppressions. Il faudrait y ajouter la race ou bien le genre. Ces auteurs veulent réutiliser le mot de « peuple ».
Laclau et Mouffe voient dans le mot « peuple » quelque chose de flou qui est bon signe car cela demande à le redéfinir constamment. Il permet d’unifier toute une population contre ces 1% les plus riches tout en formulant les spécificités des membres de ce « peuple »
Dans ce cadre, Laclau et Mouffe évoquent l’idée d’un leader charismatique qui guiderait le peuple. Déborah Cohen critique cette idée qui, selon elle, s’appuierait sur tout l’appareil idéologico-pratique qui soutient le système existant : la dictature de la communication, l’individualisation, la nation.
Comment se manifesterait le « peuple » ?
Gilles Deleuze exprime l’idée que, dans le cinéma d’avant-guerre, le peuple est presque toujours représenté. Et quand il est représenté, il est agissant et construit un monde. Dans le même esprit, Louis Argon est enthousiasmé par le film La Marseillaise (1938) de Jean Renoir.
A chaque révolte comme Nuit debout ou bien les Gilets jaunes, on repense à des expériences passées et à des peuples sauf qu’on sait bien que cet anachronisme n’a pas de sens. Déborah Cohen rappelle que : « Nous voulons rejouer l’histoire, refaire ce qui a été fait. Nous ne voulons pas un peuple, nous voulons celui que nous connaissons, celui qui a porté les ruptures passées qui sont devenues nos ordinaires, celui dont on ne saurait avoir peur puisqu’on l’a fréquenté à l’école, dans les musées, les cinémas, les cartes postales. »
De sorte que, l’idée même de « populisme » est de créer une unité organique cohérente n’a que peu de sens puisque cette unique organique ne trouve son unité que parce qu’elle est divisée et cherche avant tout à rompre avec les divisions qui existent en elle. L’autrice conclue en expliquant que nous n’avons pas forcément besoin d’utiliser le mot « peuple » pour agir « pour » lui. Il est possible de défaire des positions dominantes à travers des contestations, cela peut laisser de la place à la contestation donc au « peuple » sans agir en son « nom »
Gauchistement votre,
Le Gauchiste