Dans son dernier ouvrage Manon Garcia s’intéresse à la question particulière du consentement sexuel. Pour cela, elle explore les principales théories philosophiques du consentement telles qu’on peut les trouver chez John Stuart Mill ou encore Kant et Rousseau. Son approche féministe de la philosophie morale du consentement cherche avant tout à dépasser des conceptions qu’elle estime inefficaces pour comprendre les inégalités de genre au sein du consentement sexuel.

Avec #MeToo, la question du consentement devient central quand on parle des échanges amoureux et/ou sexuels. Manon Garcia ajoute que « Le vocabulaire du consentement apparaît comme la meilleure manière de penser les rapports amoureux et sexuels dans un contexte que l’on espère égalitaire. » Son objectif est de comprendre comment les discours contemporains justifient tel ou tel cadre interprétatif du consentement et quelles sont les nouveaux cadres interprétatifs du consentement à explorer pour aller vers la définition du consentement la plus satisfaisante.

Pour la philosophe française « Le consentement ne va pas de soi, ni au sens où il serait présent dans l’immense majorité des rapports sexuels, ni au sens où l’on saurait exactement de quoi on parle lorsqu’on parle de consentement. » Elle s’appuie notamment sur le livre Just sex the cultural scaffolding of rape (2004) de Nicola Gavey qui a été très important dans les études psychologiques et sociologiques du viol.

Manon Garcia entend remettre en question trois intuitions morales contemporaines sur le pouvoir normatif du consentement :

° Le non-consentement est une condition nécessaire pour qu’il y ait viol

° La plupart des spécialistes en philosophie morale du consentement estiment que le consentement rend nécessairement un rapport sexuel permissif

° Le consentement est suffisant que le sexe soit moralement bon

Le premier point est juste mais les deux autres points sont plus complexes. Est-ce que le consentement des partenaires suffit pour que le rapport soit moralement bon ?

Un des objectifs de son ouvrage est d’étudier le patriarcat, entendu comme système sociopolitique qui organise l’oppression sociale des femmes, au prisme du consentement.

La spécificité du consentement sexuel

Comment définir le consentement sexuel ? Est-ce que le consentement tout court et le consentement sexuel sont la même chose ? Le consentement peut être passif ou bien actif. Dans tous les cas, il est différent à la fois du consentement dans la théorie des contrats mais également différent du consentement politique.

Le consentement sexuel n’est pas un contractualisme

D’abord, le consentement n’est pas un contractualisme. En théorie des contrats, le consentement crée une obligation (Ex : Quand je monte dans un taxi, j’accepte tacitement de payer la course). Cette théorie des contrats n’est pas applicable au viol. Ce n’est pas parce qu’on dit qu’on veut couche le jeudi pour le vendredi que le moment venu du vendredi on est obligé de coucher, on peut dire non à chaque instant.

Le consentement sexuel n’est pas le consentement politique

Par ailleurs, le consentement sexuel pas comme consentement économique ni consentement politique. Il suppose des cadres d’analyse pluriels et est très complexe. Dans le consentement politique, y’a le fait d’accepter d’être dans la communauté car sinon on est exclut donc volonté et puis il y a un choix « par défaut » que Locke interroge. Il y a donc un consentement actif et un consentement passif. Pour Chomsky et Herman, ce n’est pas suffisant avec leur livre La fabrication du consentement : de la propagande médiatique en démocratie. Dans le domaine politique, l’adhésion est souvent passive. Or, dans le consentement sexuel et amoureux, ce qui est attendu est l’adhésion active.

Donc, le consentement sexuel n’est pas comme le consentement économique ni consentement politique. Il suppose des cadres d’analyse pluriels et est très complexe.

Les théories libérales du consentement

Les théories libérales du consentement sont plurielles. Il est possible de citer à la fois des libertaires comme Ruwen Ogien (Cf. Penser la Pornographie) ou encore des approches plus classiques comme celles de John Stuart Mill et Kant.

Dans tous les cas, l’approche libérale place l’autonomie, la liberté et le consentement au coeur de ses préoccupations pour que les individus soient heureux. Pour que le consentement soit valable, il faut qu’il soit libre, volontaire et éclairé

On peut distinguer deux formes morales du consentement :

° Formelle (les deux parties donnent leur consentement donc c’est moralement bon)

° Substantielle (les choix que je fais expriment mon humanité, ma dignité et ma moralité)

Le consentement chez John Stuart Mill

John Stuart Mill avec De la liberté  et Jeremy Bentham développent une conception libérale de la liberté « Ma liberté commence là où s’arrête celle des autres. » La conception libérale du consentement  de Mill est fondée sur une équivalence entre consentement et liberté. La liberté est définie comme négative (est libre ce qui ne nuit pas aux autres) mais peut également être positive (Est libre ce que mon autonomie et ma liberté me poussent à faire).

Chez Mill, l’Etat doit être le moins présent possible dans la sphère privé donc on veut développer la notion de consentement à fond pour laisser l’Etat en dehors des relations interpersonnelles. Si l’Etat intervient trop dans la sphère privée, cela peut aboutir à une tyrannie de la majorité.

Le consentement chez Kant

Kant, dans les Fondements de la métaphysique des moeurs, défend les morales du devoir (approche substantielle) ce qui est différent de l’approche de Mill. Kant se demande ce qu’est une action bonne. Il pense qu’une action bonne n’est pas déterminée par son résultat mais plutôt par sa volonté bonne de départ. Ce qui fait la moralité de l’action c’est son adhésion morale à cette action et pas seulement le fait de respecter la loi d’un Etat. Notre volonté de faire une action est appelée maxime chez Kant. L’impératif catégorique exprime « agis selon une maxime que tu penses être une loi universelle. » La dignité humaine chez Kant qui est forcément universelle.

Il est difficile d’agir selon sa maxime car il faut faire en fonction de l’autonomie des autres. Chacun n’a peut-être pas les capacités d’agir selon la maxime universaliste kantienne. On peut noter deux considérations sur la philosophie kantienne appliquée au consentement sexuel :

° Cette maxime est plutôt non appliqué qu’appliquée

° En même temps, comme c’est intime, cela peut permettre d’interroger plus grandement les partenaires sur le consentement et l’autonomie de chacun

En définitive, Le consentement dans sa vision formelle libérale et kantienne est insuffisante pour comprendre ce que peut être le « bon sexe ».

Sexe et politique

La révolution Michel Foucault

Les travaux de Foucault sur la sexualité comme rapports de pouvoir influencent beaucoup les féministes dans les années 1970.

La révolution sexuelle des années 1970 a amené deux constats :

° Il faut arrêter de dire qu’il y aurait une sexualité normale et une autre « non normale »

° La critique féministe expose l’idée selon laquelle la sexualité même « libérée » est traversée par la domination masculine

L’hypothèse freudienne est une des hypothèses de départ de Foucault dans son Histoire de la sexualité des années 1970. Foucault prend ses distances avec Marcuse qui est très freudien. Pour eux (Freud, Marcuse), il y a une répression politique du sexe depuis le XVIIème siècle. Il faudrait étudier cette répression pour savoir ce qu’est le sexe et ce que nous sommes. Foucault reprend d’abord ça en parlant « d’hypothèse répressive ». Il estime que c’est plus complexe que chez Freud ou Marcuse.

Foucault réinvente la relation entre pouvoir et sexe en étudiant ça comme un champ de forces. Pour Foucault, le pouvoir-savoir a fait en sorte qu’on détermine les sujets par rapport à leur sexe. L’assujettissement se fait dans ce cadre. Foucault veut désexualiser le plaisir, c’est-à-dire remettre en cause radicalement les relations de pouvoir sur le sexe. Foucault a remis en question tout le freudisme grâce au matérialisme. Il a rendu compte de l’influence idéologique du pouvoir sur la sexualité.

Foucault a beaucoup influencé les féministes. En effet, les débats sur le consentement sexuel proviennent avant toute chose de la politisation de la sphère privée dans son ensemble.

Le cas du BDSM

Pour Manon Garcia, le BDSM permet de remettre en cause le cadre libéral du consentement. Dans le BDSM, le contrat n’a d’abord pas objectif premier le consentement mais sert plutôt d’excitation. Le contrat relève d’abord de la littérature érotique.

Il existe trois types de consentement dans le BDSM :

° Consentement de surface : Les personnes s’engagement à voir des relations BDSM

° Consentement de la scène : Cela intervient lors de la négociation du contrat

° Consentement profond : c’est le fait de s’interroger en permanence lors des actes pour savoir si l’autre consent en respectant les safe words + consentement positif

Les pratiquants de BDSM savent que ça n’a aucune valeur juridique donc quelle est la vraie valeur du contrat ? Ces rapports reposent sur une interprétation stricte de la doctrine milienne sur les rapports interindividuels. Le BDSM tente de concilier la notion de dignité humaine kantienne et la notion de consentement. Plus récemment, la notion de consentement a pris le dessus sur la notion de dignité humaine.

Muriel Fabre-Magnan parle négativement de « droit au sadisme ». Elle estime que le libéralisme peut être destructeur lorsqu’il est sans limite. Pour elle, on peut arriver à une aliénation du consentement. Il reste un grand problème pour elle car les femmes sont soumises dans le cadre de la structure de la domination masculine

La plupart des contrats hétérosexuels montrent que ce sont les femmes qui sont dominées. La plupart des femmes dominatrices sont des professionnelles donc le contrat ne dure que le temps du contrat en lui-même. Pour les autres, ça peut durer hors-contrat. On recense également beaucoup de femmes se sont plaintes de viols dans le BDSM hétérosexuel.

Une critique féministe du cadre libéral du consentement

Approche globale

Pour Manon Garcia, le fait que les femmes soient dominées par les hommes depuis si longtemps les amènent à développer des idées d’autonomie.. (Cf. Marlène Jouan et Sandra Laugier – Comment penser l’autonomie ?).

Pour elle, les théories contemporaines de la justice sociales sont largement inefficaces pour penser les inégalités sociales liées au genre. Susan Moller Okin reprend ces critiques dans Justice, genre et famille (1989). Susan Moller Okin met en évidence la contradiction entre le consentement, la liberté des femmes et leur infériorité structurelle. Okin ne dit pas que les injustices de genre font que le consentement des femmes invalide, mais elle montre que ce consentement ne lui garantit pas une vie libre.

Selon Manon Garcia : « Un des enjeux de la critique féministe du libéralisme, qu’elle cherche à réformer ce libéralisme de l’intérieur ou à la rester massivement, se structure autour d’une critique du consentement. »

La critique du libéralisme par les féministes part de l’idée que le libéralisme sépare le public et le privée alors même qu’il existe des inégalités énormes dans le privée (inégalités de genre), donc pour elles on ne peut arriver à un conceptualisation pertinente de la liberté et du consentement en séparant public et privée.

La crise anthropologique du consentement

Pour Maurice Godelier, la domination masculine, d’un point de vue anthropologique, est le fait à la fois de la violence masculine mais encore plus du consentement des femmes à cette domination masculine.

Nicole-Claude Mathieu critique Maurice Godelier car elle estime qu’il n’y a pas de symétrie de conscience (les femmes sont trop dominées matériellement et psychiquement). Manon Garcia ajoute que : « L’idée d’un consentement des dominés à la domination présuppose que ces dominés sont conscients que ce à quoi ils consentent n’est pas une simple action mais une action qui participe de la domination sociale qui s’applique à eux. ». Elle enchaine : « Il faut une égalité minimale entre les hommes et les femmes pour pouvoir utiliser le terme même de consentement. »

La critique juridique du consentement par MacKinnon

Des autrices comme Catharine MacKinnon estiment que la notion de consentement défendue par les lesbiennes pro-sexe à l’aide de contrats ne peut dépasser le problème structurel de la domination masculine qui remet en cause le lien, à priori évident entre consentement, autonomie et liberté.

Dans un tel système, le consentement n’est plus un critère de justice ni même un critère de justification, il permet au mieux de décrire la situation : la domination masculine a pour effet que le consentement des femmes n’est pas la manifestation de leur liberté mais un signe de leur asservissement.

Manon Garcia résume les idées de MacKinnon en disant : « Une telle remise en cause de la portée normative du consentement implique une remise en cause de ce que ce consentement incarnait, à savoir l’autonomie de la volonté de celui qui consent et la responsabilité de ses actes : si les femmes sont structurellement soumises, de sorte que consentir à cette soumission est l’attitude statistiquement normale, alors ni leur soumission ni leur consentement ne leur sont imputables. Le consentement n’a plus de protée morale, il est purement juridique et n’est rien d’autre que ce que le droit définit comme tel, dans un contexte où le droit est un droit établi par les hommes et qui porte sur les vies des femmes. Les femmes consentent, mais ce consentement n’est pas tant l’expression de leur volonté que ce qui est construit comme ayant signification par un système juridique fait par les hommes pour servir les intérêts des homme. »

En conclusion, Manon Garcia estime que le libéralisme fait passer pour naturel le fait que les hommes et les femmes soient libres en disant qu’ils le sont. Mais la structuration de la domination masculine amène à ce que les concepts d’autonomie et de consentement dans ce système libéral soient utilisés par les hommes pour légitimer cette même domination masculine.

Quelques possibilités de dépassement des cadres libéraux du consentement

L’exemple du BDSM montre que le processus d’écriture peut être partie prenante du processus d’érotisation de l’interaction.

Gloria Steinem parle « d’érotiser l’égalité » plutôt que la domination masculine. Vavina et Cecile Thomé montrent que le fait de demander le consentement à chaque moment d’un acte sexuel est très mal vu pour des raisons patriarcales liées au fait que l’homme serait un conquérant qui « gagne un territoire ». Surtout, le fait de dire qu’il ne faudrait pas demander le consentement au fur et à mesure de l’interaction sexuelle participe à la préservation de nombreuses dimensions de la domination masculine. Pour Manon Garcia « Quand on fait du sexe non verbalement, on conçoit le fait de faire du sexe à quelqu’un d’autre et non pas avec quelqu’un d’autre. »

La question de la subjectivité sexuelle est largement abordée par Simone de Beauvoir dans Le Deuxième Sexe (1949) quand elle parle de l’expérience érotique. Pour De Beauvoir, la domination masculine bride encore plus les hommes que les femmes. Manon Garcia ajoute que : « Le consentement est un problème avant tout d’hommes car c’est à eux de s’assurer du consentement étant donné leur position de domination sociale au sein du patriarcat »

Conclusion

Manon Garcia conclue que « Face à ces difficultés, il semble que la solution soit à trouver non dans l’échange du consentement une fois pour toutes mais dans une conversation des sujets consentants sur le consentement. Le consentement est à manier avec précaution. »

Gauchistement votre,

Le Gauchiste