Elio Petri
Elio Petri (1929-1982) a été un réalisateur et une scénariste italien. Il naît à Rome dans une famille modeste. Il grandit dans la banlieue ouvrière. Petri se lance dès son plus jeune âge dans le militantisme et la critique de cinéma. Il forme notamment les jeunes du parti communiste italien (PCI) et écrit dans le journal L‘Unità fondé par Antonio Gramsci. Le cinéaste italien quitte le parti en 1956 après l’insurrection de Budapest qui a eu lieu la même année. Ce n’est pas un communiste traditionnel mais plutôt un communiste libertaire qui n’a jamais été proche des idées staliniennes
Les années 1970 : Les Années de Plomb
Les années de plomb désignent la période allant de la fin des années 1960 à la fin des années 1980. Ces années se caractérisent par la montée en puissance d’un activisme politique très violent avec la pratique de la lutte armée que ce soit à l’extrême-gauche (les Brigades Rouges en Italie) ou bien à l’extrême-droite.
Les révoltes étudiantes, ouvrières et féministes de 1968, et plus particulièrement 1969 en Italie plongent l’Italie dans une sorte de désordre social. Les tensions sont de plus en plus fortes. L’Automne chaud (Automne 1969) marque l’apogée des violences (occupations d’usines, révoltes étudiantes, manifestations féministes). L’attentat de Piazza Fontana arrive dans un contexte déjà difficile qui pousse l’Italie vers une sorte de chaos.
Pour calmer les tensions sociales, l’Etat met en place ce que l’on a appelé la « Stratégie de la Tension »
Le cinéma historique
Comment faire de l’histoire avec des films sans tomber dans l’historicisation galopante ? Il faut répondre à des questions d’histoire grâce aux figures propres du cinéma. Pour Gilles Deleuze : »La rencontre de l’histoire et du cinéma ne peut être réussie que si l’histoire empreinte au cinéma et que le cinéma empreinte à l’histoire. » En ce sens, le cinéma peut nous permettre d’élargir notre champ d’investigation et de relancer la capacité narrative pour mieux approcher le passé.
Pour Antoine de Beacque, le cinéma a trois fonctions dans la représentation de l’histoire. D’abord, il sert à reconstituer le passé comme au présent, en offrant à l’histoire une seconde chance. Puis, le cinéma sert à « embaumer le réel », à le préserver. le cinéma prend ici la fonction de réalité archivistique. Enfin, le cinéma est aussi un outil pour élaborer une interprétation de l’histoire.
Synopsis
Le chef de la police criminelle se rend chez son amante., Augusta Terzi. Ils font font l’amour quand le policier lui tranche la gorge. Avec le plus grand calme, convaincu qu’en raison du poste qu’il occupe, il est « au-dessus de tout soupçon », il néglige délibérément d’effacer les traces de son crime et il se complait au contraire à éparpiller des indices supplémentaires. Il s’empare d’une poignée de bijoux puis d’une bouteille de champagne et quitte l’immeuble. En sortant, il croise un jeune homme, Antonio Pace…
Film d’auteur, film protéiforme
Le courage de Pétri
En 1969, lorsque Petri tourne cette farce pamphlétaire au vitriol, cette démarche constituait un véritable acte de courage. La répression étatique se met en place suite aux évènements de 1968 et de 1969. Le climat s’assombrit.
Un film très personnel, fantaisiste et comique
Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon est un film d’auteur, un film de scénariste. C’est un film qui a au moins trois pères. Il a des racines très profondes entre Elio Petri, le scénariste (Ugo Pirro) et Gian Maria Volonté.
(Elio Petri dans Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon)
Il y avait des bases réalistes très réelles mais à côté, il y avait des scènes très fantaisistes. L’appartement du commissaire était très particulier. Aucun policier ne pourrait y habiter car c’est trop moderne, c’est trop fantaisiste. Pourquoi ? Parce que Petri était un grand amoureux d’art moderne et de pop art donc cela l’amusait beaucoup de créer une distance. C’était un film très crédible mais avec une distance ironique et c’est par le décor que ça passe.
(Augusta Terzi évoquant ses fantasmes sur Antonio Pace, étudiant révolutionnaire au commissaire de police)
Plus le film avançait, plus les producteurs se demandaient s’ils allaient trop loin. C’est pour cela qu’ils ont introduit une dimension fantaisiste à la fin. C’est pourquoi ils ont tourné la fin comme si c’était un rêve. La fin est très forte car très ambiguë. Pour Elio Petri : »Il ne faut pas tout expliquer, il faut que l’imagination du spectateur travaille. »
Le comique est crée pour faire sauter les potentielles censures.
Une réflexion sur le pouvoir
La violence d’Etat : la Stratégie de la Tension
Selon Petri, l’Etat se manifeste au travers de la police. A l’égard du citoyen, l’État s’exprime par des lois qui sont normalement appliquées par l’exécutif ; or, l’exécutif est composé par la police et la magistrature. Les institutions qui représentent l’État dans la vie quotidienne sont toujours répressives ; il n’y en a pas une seule qui ne le soit pas, pas une seule qui puisse réellement être appelée démocratique.
(Discours sur l’autorité interprété par Gian Maria Volonté)
L’Etat a une telle méfiance à l’égard des citoyens que toutes les institutions tendent au contrôle et à la vigilance. L’architecture de l’État est répressive et isolante : il s’agit de diviser les propriétés, de dresser des murs, de séparer, surveiller, contrôler…
Il y a les écoutes téléphoniques, il y a des contrôles, des subversions. Le lien avec le maccarthysme américain est évident. La société italienne du début des années 1970 est une société où il y a cette peur du différent, de ces personnes qui ne rentrent pas dans le système (comme les anarchistes ou encore les homosexuels). Il y a un lien avec le maccarthysme américain mais c’est un peu différent en Italie.
(Image du film montrant des écoutes téléphoniques de révolutionnaires)
Dans la dernière séquence du film, le plan montrant l’inspecteur face à ses collègues et au préfet est saisissant : les silhouettes et les postures des différents personnages figurent littéralement leur dimension symbolique, inhumaine ; ils incarnent totalement cette loi « figée dans l’éternité » évoquée par l’inspecteur dans son discours, cette mascarade dénoncée par le réalisateur. Ce plan illustre parfaitement la citation de Kafka : »Quelque impression qu’il nous fasse, il est le serviteur de la loi, il appartient à la loi, et échappe au jugement humain. »
Le constat est terrible, d’une époque à l’autre : rien ne change. Un système totalitaire et répressif se substitue à un autre. Pasolini affirmait que le fascisme n’avait pas disparu. Au contraire, il est omniprésent et même plus dangereux dans le sens où il se fond dans la masse, invisible puisque recouvert par les idéaux de la société de consommation.
L’obsession du pouvoir et son caractère incontrôlable
Le commissaire représente l’homme de pouvoir qui contrôle mais qui est incapable de contrôler son propre pouvoir. Il y a un choc entre la réalité et la maladie du pouvoir. Le personnage principal n’est pas atteint d’une schizophrénie. Il y a une forme de lucidité du personnage. D’un côté, il veut montrer que personne ne pourra prouver que c’est un assassin, et d’un autre côte, c’est un représentant de la loi donc il veut être jugé.
(Etudiants gauchistes se révoltant contre le pouvoir dans le film)
C’est un film contre le pouvoir quand le pouvoir n’a plus de règle. Cette obsession du pouvoir se voit au début du film quand le commissaire, occupant déjà la brigade criminelle contrôle après la brigade des moeurs. La volonté de contrôle se fait ici non seulement par rapport aux faits criminels mais aussi par rapport aux moeurs (notamment contre l’homosexualité, les manifestations des ouvriers et des féministes).
(Image de la fin du film montrant les hommes de loi qui innocent le commissaire coupable)
Conclusion
Elio Petri, cinéaste baroque et expressionniste joue de ressources du grotesque, il brouille les pistes. Il nous déroute par les plongées dans les méandres du pouvoir. Petri dérange là où d’autres rassurent.
Son style en trompe l’oeil se sert d’artifice pour mieux cerner le réel. Freddy Buache note : »Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon (1970) est un séduisant exercice de style mis au service d’une sorte de conte philosophique cinglant qui prend, par moments, des allures de pamphlet contre l’hypocrisie du pouvoir dans les régimes où la démocratie n’est plus qu’une étiquette commode, un alibi justifiant toutes les répressions. »
Rappelons-nous ces grands films qui ont forgé notre esprit critique et notre compréhension du monde face aux dérives fascistes et autoritaires
Gauchistement votre,
Le Gauchiste