Léon Blum
Enfance et judaïsme
Il naît en 1872 à Paris. Ses parents, originaires d’une vieille famille juive d’Alsace, s’établissent dans la capitale en 1848 avec un père républicain sans être socialiste qui accède à la bourgeoisie par le commerce. Il reçoit une éducation bourgeoise et juive, notamment par sa mère.
L’enfance de Blum est liée de près au judaïsme. Il a 14 ans lorsque paraît La France Juive de Dumont et 26 quand l’affaire Dreyfus éclate. Son républicanisme est indissociable de son judaïsme. Pour autant, d’emblée, le socialisme de Blum apparaît rationaliste et universaliste beaucoup plus que messianiste et quasi mystique.
(Une du livre La France Juive de Drumont, ouvrage jugé antisémite)
Formation académique
Il est reçu à l’Ecole Normale mais échoue à ses certificats de licence. Il enchaine sur des études de philosophie et de droit et assiste comme jeune auditeur au Conseil d’Etat en 1895.
Dans sa formation, Blum est avant tout un juriste (bien qu’il ait également des connaissances en économie car il l’a aussi étudié à l’université). Il est fondamentalement une analyste aux antipodes d’un Jean Jaurès qui dispose d’une intelligence synthétique, symphonique.
En plus de cette formation universitaire, le « Juif de la République » s’intéresse beaucoup à la littérature. On compare son style à Proust mais c’est Maurice Barrès, prince de la jeunesse de l’époque, qu’il admire. Il participe à plusieurs revues comme La Conque, Le Banquet ou encore La Revue Blanche notamment.
(Léon Blum fut un admirateur de Maurice Barres pendant sa jeunesse)
La Revue Blanche est une revue littéraire, très orientée fin XIXème, symboliste, esthétisante, gidienne, prussienne, barrésienne. C’est une revue qui opte pour une certaine forme d’anarchisme à la fois littéraire, esthétique, politique, dreyfusarde et cosmopolite.
A partir de ses 25 ans, Léon Blum rapporte son admiration littéraire pour Stendhal. Contrairement aux stendhaliens traditionnels, il aime de l’auteur son rationalisme et son côté idéologue / doctrinaire.
(Léon Blum s’est inspiré de la pensée de Stendhal)
Formation politique et idéologique
Après sa formation d’enfance et académique, le natif de Paris affirme ses goûts personnels et démarre ses propres publications. Il publie Du Mariage en 1907 où il expose sa théorie du mariage, son livre passe inaperçu.
(Premier ouvrage de Léon Blum Du Mariage)
De son ouvrage et de ses pensée, les auteurs voient en lui un bourgeois décadent symbolique de la fin du XIXème siècle. André Gide écrit sur lui : « Je raconterai le premier souvenir que j’ai gardé du leader socialiste. [… Ce jour-là, nous descendions le boulevard Saint-Michel et discutions de manière fort animée. […] Soudain, Blum se retourne, fait trois pas en arrière. Avait-il reconnu quelqu’un ? Non ! Simplement, je le vois s’approcher d’un de ces pauvres hères qui distribuent des réclames ou des prospectus. Blum en prit deux, m’en tendit un en me disant, quand il m’eut rejoint : « C’est son gagne-pain à ce pauvre homme. Il se sent moins humilié quand on prend ses papiers. » […] L’attitude de Blum à leur égard, nullement composée, est l’expression même de sa sincère sensibilité. »
(André Gide garde un grand souvenir de Blum)
Sa formation politique et idéologique s’est construite en opposition à celle d’Herriot. Contrairement au socialiste Edouard Herriot qui a une culture plutôt classique, Blum a une culture plus éclectique, culture de son milieu et également culture des diverses revues pour lesquelles il a travaillé. Il apparaît comme ayant une culture plus différente et plus profonde que son camarade socialiste.
(Edouard Herriot, grand homme politique du XXème siècle)
A l’origine, c’est un grand admirateur de Georges Clemenceau. Il ne devient socialiste qu’à partir de 1897-1898. Blum devient socialiste pour deux raisons principales : d’abord l’affaire Dreyfus au cours de laquelle il devient rapidement dreyfusard puis sa rencontre avec Jean Jaurès fin 1897.
(Clemenceau a beaucoup inspiré Blum)
Tout comme l’ancien Maire de Toulouse et de Castres (Jaurès), Blum souhaite réaliser une synthèse entre socialisme et démocratie, entre réforme et révolution, entre internationalisme et patriotisme. Et tout comme Jaurès, dont il admire la réthorique et la prestance, il souhaite l’unité socialiste.
Il a toujours été distant du marxisme. Il déclare en 1900 : « Nul n’ignore parmi les socialistes réfléchis, que la métaphysique de Marx est médiocre. » Il atténuera cette critique sans pour autant adhérer au matérialisme historique. Au contraire, le socialisme de Blum est idéaliste, humanitaire, c’est un socialisme kantien. C’est une volonté de changer la société dans le sens de la justice avec la raison et une morale universelle. Ce socialisme est développé dans son ouvrage Nouvelles conversations de Goethe avec Eckermann (1897-1900).
(Une de l’ouvrage Nouvelles Conversations de Goethe avec Eckermann)
Dans la lignée de Jaurès dont il ne cesse de se référer comme en 1933 : « Aux moments difficiles, c’est toujours dans son souvenir et dans son enseignement que j’ai cherché la règle de mes actions. » Il n’entre définitivement en politique en 1919 après avoir participé à l’union socialiste entre 1905 et 1914.
Léon Blum et le politique
La théorie socialiste
Il devient député de Seine en 1919 à l’âge de 47. Très rapidement, il publie Pour être socialiste, brochure de 80 pages qui sera souvent rééditée par la SFIO. Ce qui est remarquable, c’est la sérénité de cet écrit dans un contexte difficile (grandes grèves des années 1910, Première Guerre mondiale). Il ne cesse de proclamer le bonheur, la solidarité et l’adjectif universel, comme si le socialisme était naturellement amené à s’affirmer.
Ce manifeste est l’occasion de comprendre la théorie socialiste de Léon Blum. Parmi les choses à retenir :
La naissance du socialisme selon Blum : « De quoi est né le socialisme ? De la révolte des plus nobles sentiments de l’âme humaine, blessée par la vie, méconnue par la société. Le socialisme est né de la conscience de l’égalité naturelle, alors que la société où nous vivons est tout entière fondée sur le privilège
La définition du socialisme : « Le socialisme est donc une morale et presque une religion autant qu’une doctrine. Il est l’application exacte, à l’état présent de la société, de ces sentiments généreux et universels sur lesquels les morales et les religions se sont successivement fondées. »
Comment devient-on socialiste ? : « On est socialiste à partir du moment où l’on se refuse à accepter la figuration actuelle des faits économiques comme nécessaires et éternels ; à partir du moment où on a cessé de dire : « Bah c’est l’ordre des choses ! Il en a toujours été ainsi et nous ne changerons rien. »
le but du socialisme : « Ce qu’il faut, c’est installer la raison et la justice là où règnent aujourd’hui le privilège et le hasard. Il n’est pas possible, il n’est pas raisonnable que ce qui est nécessaire à la totalité des hommes demeure la propriété exclusive de quelques-uns. Le socialisme comporte comme une libération, comme une épuration universelles. »
Ce qu’on retient, c’est que Blum a le soucis d’égalité, de la lutte pour l’égalité, de la passion de l’égalité, du scandale de l’égalité. Il refuse en bloc la « dictature du prolétariat », craignant cette période de non-légalité. Il y préfère une période longue de révoltes et de révolutions douces (celles de 1936 s’intégrant dans ce processus).
Il s’oppose à l’adhésion des socialistes à la IIIème Internationale en 1921 avec le Congrès de Tours (Scission d’où né le Parti Communiste français) car cela lui paraît contraire à la tradition socialiste (discipline aveugle, risque d’épuration, conquête du pouvoir comme fin en soi, matérialisme historique). Il peine cependant à se faire entendre car il a une petit voix ; la scission est scellée est définitive avec les communistes.
(Image du Congrès de Tours)
Le défenseur du socialisme
De ce traumatisme du Congrès de Tours naît une motivation supplémentaire à faire gagner sa vision du socialisme face aux communistes. En 1921, son parti est tout petit. Les effectifs triplent en dix ans, dépassant ceux du parti communiste. Il jouit pendant cette période d’une incontestable autorité intellectuelle et morale.
De 1920 à 1936, il se veut être le garant de la doctrine socialiste telle qu’il la défend. Pendant que Felix Faure est le leader de la SFIO, Blum s’efforce de continuer son travail idéologique. Il ne cesse d’avertir les communistes qu’ils sont sous la menace de la soumission à l’URSS. Il déclare : « La Russie porte une témoignage contre le socialisme, et vous ne pourrez pas nous opposer l’échec du communisme bolcheviste, car il n’est pas le socialisme véritable. »
(Felix Faure, l’homme fort de la SFIO des années 1920 au Front Populaire)
Très critique envers les communistes, Blum est également un opposant moindre mais un opposant ferme aux radicaux. Une opposition demeure entre les deux clans : la notion de la propriété privée : les radicaux veulent la préserver alors que Blum souhaite la réduire jusqu’à l’abolir. Il soutient le Cartel des gauches (1924-1926) tout en refusant d’y participer par soucis de cohérence.
Du Cartel des gauches naît une sémantique formulée par Blum. Le natif de Paris oppose « l’exercice » du pouvoir qui est la formation d’un gouvernement à direction socialiste en régime bourgeois à la « conquête du pouvoir » qui est l’établissement d’un régime socialiste. Il y ajoute l’idée d’ « Occupation du pouvoir » qui est l’exercice du pouvoir par les socialistes quand les fascistes l’occupent.
L’homme politique
La gloire de Blum se fait à partir de 1936 et le Front Populaire. Entre temps, les socialistes avaient posé des conditions claires et dures pour l’accession au pouvoir. Ce sont les conditions Huyghens (nom du gymnase où ils se réunissaient).
Voici ces conditions, qui séparent les socialistes des radicaux (Paix par arbitrage et réduction des dépenses militaires au niveau de 1928, Interdiction du commerce des armes, Equilibre budgétaire et politique de déflation, Contrôle des banques, Office public des engrais et du blé, nationalisation des chemins de fer, Nationalisation des assurances, Semaine de 40 heures, Amnistie politique générale).
En 1936, Blum doit composer aves les guesdistes (qu’il n’aime pas) ainsi que les néo-socialistes qui sont des opportunistes et les jaussériens (sans qu’il soit très proche de ses idées non plus). Il est l’homme de l’unité mais est suivi par peu de personnes. Il n’est alors pas l’homme du centre mas est l’homme de la synthèse.
(Jules Guesdes, grand opposant de Blum au sein de la SFIO)
Face à la menace allemande de 1933 avec l’élection d’Hitler, Blum, en socialiste de coeur sent, plus que jamais, la nécessité de faire union malgré les dissensions. Cette union permet à la SFIO, infiltrée par beaucoup d’opportunistes et de guesdistes traditionnels, d’être le premier parti de France en 1936.
Rétrospectivement, on peut se demander la capacité d’un parti avec un petit noyau de personnes acquises aux idées de Blum à prendre le pouvoir avec autant de sensibilités différentes et une inexpérience au pouvoir. Face au fait accompli, Léon Blum donne son programme international, très proche de celui de Jaurès (Concilier patriotisme et internationalisme, Miser sur la sécurité collective, s’opposer à une politique intransigeante à l’égard de l’Allemagne, notamment lors de l’occupation de la Rhur en 1923).
Conclusion
Historiquement, rarement un personnage politique n’a été autant critiqué que Blum. Les communistes lui reprochent de ne pas avoir poussé les réformes assez loin pendant que la droite le rendent coupable d’avoir répandu la guerre civile en 1936 et d’avoir perdu en 1940. Cependant, qui comprenait vraiment Hitler avant qu’il commença ses politiques extérieures et les invasions ?
Entre un profond pacifisme et un profond socialisme, que faire face à cette situation inédite ? Est-ce que Blum n’est finalement pas arrivé au pouvoir au mauvais moment ? A un moment où personne n’aurait pu éviter ce qu’il s’est passé, comme si tel était le sens de l’histoire ?
Retenons de Blum sa continuité scrupuleuse d’une pensée exempte de toute démagogie. C’est un homme resté fidèle aux mêmes principes, tout en les remettant constamment en question. A l’intérieur de la SFIO, Léon Blum reste une grande figure, une figure respectée, mais une figure isolée.
Gauchistement votre,
Le Gauchiste