Salué presque unanimement par la critique littéraire, A la ligne de Joseph Ponthus (2019) demeure un type d’autobiographie qui devient de plus en plus rare : le feuillet d’usine.

Plus qu’une description amusée et amusante du travail à l’usine, cette autobiographie est également l’occasion de voir à la fois toutes les références littéraires de Joseph Ponthus mais aussi le début de son tragique destin.

Joseph Ponthus

C’est ainsi qu’il serait possible de résumer la vie et l’oeuvre de Joseph Ponthus lorsque lui-même reprend une phrase de Léo Férré : « A l’école de la poésie, on n’apprend pas, on se bat ». On se bat, on attend et on espère, lorsque l’auteur reprend les mots de Dumas dans la fin de Monte-Cristo « Mon ami, le comte ne vient-il pas de nous dire que l’humaine sagesse était tout entière dans ces deux mots : Attendre et espérer ! »

Dans cette lutte, cette attente et cette espérance, Joseph Ponthus nous retrace de façon humoristique quelques unes de ses références sur la question du temps.

Le temps à l’usine y est long comme chez Fernand Braudel : « « Le temps long, ce bon vieux Braudel qui m’explose à la gueule, au coeur de l’abattoir. Putain Fernand , si tu savais, qu’un ouvrier sans études te convoque sans le savoir. J’en ris, j’en rêve. De toi mon bon Fernand et de la Méditerranée à l’époque de Philippe II. Et s’il, comme toi, faire en sorte que l’usine ou Philippe ne soit plus le sujet de l’étude. Mais la circonstance resterait à trouver ma Méditerranée. ». Le temps est retrouvé comme chez Marcel Proust : « Le temps perdu, cher Marcel, je l’ai trouvé celui que tu cherchais. Viens à l’usine, je te montrerai vite fait. Le temps perdu, tu n’auras plus besoin d’en tartiner autant »

Mais ce qui nous marque le plus, c’est l’engagement à la fois littéraire et social de Ponthus. Jamais une phrase sur le social ne s’éloigne d’un passage théorique dans son esprit. Il souligne « Je suis de l’armée de réserve dont parle le grand Karl dès 1847 dans Travail salarié capital (1847) : « La grande industrie nécessite en permanence un armée de réserve de chômeurs pour les périodes de surproduction. Le but principal de la bourgeoisie par rapport à l’ouvrier est, bien sûr, d’obtenir le travail en tant que matière première au plus bas coût possible, ce qui n’est possible que lorsque la fourniture de ce produit est la plus grande possible en comparaison de la demande, c’est-à-dire quand la surpopulation est la plus grande. »

Voilà donc la cadence chez Joseph Ponthus, c’est celle à la fois de la tâche à accomplir à l’usine et celle de la tâche à réaliser pour détruire ces tâches à l’usine.

Les Feuillets d’usine

Prenant connaissance de son parcours d’éducateur avant de devenir ouvrier en Bretagne, l’auteur nous rappelle son besoin d’écrire malgré la fatigue, le stress et le vide. Il s’exprime sur la contions ouvrière : « Je me souviens de cours d’histoire où il était aussi question de livret d’ouvrier. La révolution industrielle, l’essor inéluctable du capitalisme, le paternalisme, la familistère de Guise. A l’usine aujourd’hui »

C’est alors tout un style qui se crée « J’écris comme je pense sur ma ligne de production, divaguant dans mes pensées, seul, déterminé. J’écris comme je travaille, à la chaîne, à la ligne ». Il ajoute « J’embauche avec joie même si le stress de la nouvelle usine et déjà le regret de mes poissons et mes crevettes. Que vais-je produire ? »

Ponthus garde ce lien permanent avec nous et nous guide dans le feuillet : « Il faut lire Le Journal d’un manoeuvre de Thierry Metz. Ce livre est un chef-d’oeuvre. Paru chez l’Arpenteur de Gallimard dans les années 1990 »

De descriptions en descriptions, la tristesse et l’enfer de la condition ouvrière transparait au passage de quelques anecdotes : « Tu te rends compte aujourd’hui c’est tellement speed que j’ai même pas le temps de chanter. Je crois que c’est une des phrases les plus belles, les plus vraies et les plus dures qui aient jamais été dites sur la classe ouvrière. Ces moments où c’est tellement indicible que l’on a même pas le temps de chanter, juste voir la chaine qui avance sans fin, l’angoisse qui monte, l’inéluctable de la machine, et devoir continuer coûte que coûte la production alors que même pas le temps de chanter. Et diable qu’il y a des jours sans. »

L’abattoir

C’est un lieu particulier et unique qui se dessine au fur et à mesure : l’abattoir. Les descriptions sont au départ amusantes et ponctuées d’une réflexion de Jean de la Bruyère dans Les caractères : « Nous devons travailler à nous rendre très dignes de quelque emploi : le reste ne nous regarde pas, c’est l’affaire des autres. »

Mais rapidement, c’est l’horreur qui prend le dessus : « L’atelier me semble grand comme la totalité d’une de mes anciennes usines. Du sang, partout, le premier truc, le sang. Mes yeux cherchent à comprendre l’agencement de l’atelier et de ses espaces. Et puis, des lambeaux de cochon, partout, et pas des lambeaux, des groins de travers, des pieds, du gras de cochon si caractéristique. Partout ». Il enchaine : « Je pousse des carcasses, sans fin, je ne fais que, gagner ma vie. Non, gagner des sous. Non, vendre ma force de travail. Voilà, c’est ça. »

C’est l’occasion de rappeler que la description de l’horreur des abattoirs existe depuis longtemps : « Le Sang des bêtes est un documentaire réalisé en 1949 par Georges Franju dans les abattoirs de Vaugirard et de La Vilette qui fait passer n’importe quelle vidéo de L 214 pour un épisode gentillet de La Petite Maison dans la prairie »

Cet article ne peut être qu’un hommage depuis que Joseph Ponthus nous a quittés le 24 février 2021 : « Ici, en préface, on pourrait dire qu’à l’école de l’usine, on n’apprend pas non plus, on se bat. Et qu’à l’école du cancer, c’est tout pareil, tu te bats, on va se battre. La nouvelle est tombée hier. Tombée, comme tu risques de tomber si tu ne prends pas garde. A l’anémie, aux globules blancs, aux fractures des vertèbres qui te dézinguent depuis des mois. Et sur tout ça, Nous pouvons enfin mettre un mot Myélome. Cancer de la moelle osseuse. »

Gauchistement votre,

Le Gauchiste