Contrairement aux idées reçues, Jean Jaurès nait dans un milieu bourgeois dans le Tarn, une région très industrielle et très agricole. Il poursuit une scolarité exemplaire qui le pousse à monter à Paris pour poursuivre ses études.
Il est reçu 1er à l’ENS devant Henri Bergson. Les années ENS (1878-1881) vont beaucoup changer ses idées. Le lien Lumières – Révolution Française – République – Socialisme lui apparaît évident.
(Jean Jaurès en bas au centre de la photo avec sa promotion de l’Ecole Normale Supérieure en 1878)
Jean Jaurès, c’est avant tout le destin unique d’un grand esprit qui a donné sa vie au socialisme et à l’action pour les plus démunis avec le développement d’une pensée complexe mêlée d’une théorie socialiste solide et d’une philosophe fournie.
L’œuvre intellectuelle
Le goût de Jaurès pour le socialisme se développe et ne cesse de s’affirmer à travers les domaines intellectuels qu’il explore. Sa formation est complexe et intègre beaucoup de culture
Littéraire et critique d’art
Pour le député du Tarn, le beau est partout : « Il y a beauté partout où des éléments, ou des formes innombrables de la vie et de l’activité universelles, couleur, son, mouvement, force, souplesse, agilité, amour, colère, pensée, volonté, vertu, crime. » Il y a donc deux choses qui caractérisent la beauté : La Force et l’Harmonie.
Jean Jaurès distingue la beauté de la nature qui est vivante et concrète et la beauté de l’art qui ne vit pas et qui est abstraite. Plus une œuvre contient de réalité, plus elle est belle.
Il s’extasie sur la beauté de la nature. Pour ce qui est de l’art, beauté produite par l’homme, il admire l’esthétique gréco-latine classique : « La culture classique, c’est le sens de la beauté, de l’ordre et de la mesure. »
Son texte fondamental sur l’art L’Art et le socialisme expose l’idée que l’art est le symbole de la « démocratie bourgeoise ». Il n’a pas pénétré les classes populaires car ils manquent d’éducation et n’arrivent pas à dominer leur propre vie. Pour lui, seul le socialisme permettra à chacun d’accéder à l’art.
L’art doit être marqué par la sérénité et la beauté car les socialistes sont « Toute la beauté » car ils sont « Toute la vérité »
Tout comme pour l’art, Jean Jaurès est un grand admirateur de la culture classique en littérature. Il écrit des critiques dans La Dépêche ou encore La Petite République et Le Matin. Toutes ses critiques se concentrent autour de ses théories de puissance, de mesure ainsi que d’harmonie et d’utilité sociale.
(Une de La Dépêche sous Jean Jaurès)
Les deux auteurs proches de son époque sont Zola et Anatole France. Pour autant, il n’adhère pas totalement à leur littérature, estimant Zola trop long dans ses descriptions et peu complaisant avec le communisme et éprouvant une certaine suffisance et ironie très lourde chez Anatole France.
Il est beaucoup plus proche d’Ernest Renan dont il estime que son Histoire d’Israël est un « tableau magnifique » et ou encore le redoutable polémiste Léon Bloy et sa Sueur de sang
Orateur et Journaliste
La carrière journalistique de Jaurès se fit surtout dans La République française (fondé par Léon Gambetta) à ses débuts puis La Dépêcheet ensuite La Petite République.
La République française est un journal du républicanisme opportuniste dont Jean Jaurès va rapidement s’éloigner. Cependant, La Dépêche et La Petite Républiquesont primordiaux pour lui. Dans La Dépêche, il s’adresse directement à la population du Sud-Ouest dont il est député et dans La Petite République, il peut affirmer ses idées de socialisme indépendant et unificateur.
Le nom de Jean Jaurès est surtout attaché à L’Humanité, journal qu’il fonde le 18 avril 1904 et qu’il dirige jusqu’à sa mort. Jaurès souhaite que ce « journal socialiste » rassemble toutes les sensibilités socialistes sans en exclure.
Dès ses débuts, le journal est animé par des agrégés et des normaliens, pas des journalistes. Le ton y est très intellectuel et la masse ouvrière lit peu le journal de Jaurès malgré sa défense acharnée de leur sort.
(Une du journal L’Humanité que Jean Jaurès fonda lui-même)
En plus de ses qualités d’écrivain, Jaurès est un grand orateur. Il se fait remarquer dès le lycée puis à l’Ecole Normale Supérieure. A l’Assemblée nationale, il est l’orateur le plus respecté et le plus écouté. Seul Albert de Mun peut rivaliser avec lui sur le terrain de la rhétorique.
Son style est très imagé et rappelle les discours de Bossuet. Beaucoup l’admirent avec ses références grecques, ses allégories et ses métaphores bien trouvées, d’autres le trouvent prétentieux dans sa volonté de puissance et estiment qu’il utilise de beaucoup trop de lieux communs.
Dans son camp du parti socialiste unifié, il fait loi. Victor Méric dit de lui : « Nous nous obstinons à voir dans Jaurès une variété de révolutionnaire qui existe plus qu’on ne le croit : le révolutionnaire artiste. » Il joue son rôle dans la pièce révolutionnaire et il ne saurait jouer autre chose
Philosophie de l’histoire socialiste
Pour Jaurès, il y a deux grands moteurs chez l’homme : l’idéal de justice et sa confrontation avec la lutte des classes. C’est lors de cette confrontation entre idéalisme et matérialisme que naît l’unité, l’unité socialiste.
Jean Jaurès a une vision téléologique de l’histoire dans le sens où tout a un sens pour lui. La Révolution française rompt avec la monarchie en amenant la République qui, elle-même va permettre l’avènement du socialisme.
Pour le natif du Languedoc, la réalisation du socialisme est insuffisante si elle n’est pas couronnée par la religion : « Je ne conçois pas une société sans religion, c’est-à-dire sans croyances communes qui relient les âmes en les attachant à l’infini d’où elles procèdent et où elles vont. »
Cette vision de la religion se lie à celle de sa philosophie qui est peu matérialiste. Il est influencé par les socialistes idéalistes (Luther, Kant, Hegel). Chez les philosophes allemands : « Le socialisme définit la liberté non comme une abstraite faculté de choisir entre les contraires mais comme une véritable base de l’égalité entre les hommes et de leur communion. »
Cette communion ne peut se faire qu’avec un idéal de justice et une certaine spiritualité. Il ajoute « Si Socrate a fait descendre la philosophie du ciel, le socialisme en a fait descendre la justice »
Du républicanisme opportuniste au socialisme unificateur
Débuts chez les Républicains opportunistes
A ses débuts, Jaurès n’est pas à proprement parler « socialiste », c’est un républicain opportuniste dans la lignée de Léon Gambetta. Il vote en 1885 pour l’expédition militaire au Tonkin et en 1886, il se désolidarise d’Emile Basly, maire de Lens qui défend le mineur gréviste qui a assassiné l’ingénieur Watrin.
(Portrait d’Emile Basly, ancien maire de Lens, ville très touchée par les révoltes ouvrières des mines)
Il ne se « gauchise » que vers 1887. Il déclare « Tant que les sociétés n’auront pas réglé l’avènement du prolétariat à la puissance économique … nous n’aurons pas atteint le cœur même du problème social ! »
Le tournant se situe donc à la fin des années 1880 et le début des années 1890. Lucien Herr et Jules Guesde le poussent à se gauchiser pendant que les révoltes meurtrières des mineurs finissent par le pousser vers le socialisme
Théorie socialiste
La théorie socialiste de Jean Jaurès ne peut se comprendre qu’avec sa conception de l’enseignement. Le député castrais considère que le changement social vient d’abord de l’instruction publique.
Il suit les idées de Condorcet sur l’école unique pour tous, égalitaire, mixte et surtout gratuite pour tous grâce au système des bourses. La Laïcité se joint à ce programme très républicain et très maçonnique.
(Portrait de Condorcet)
Le discours de Jaurès se distingue en trois phases
° Jusqu’en 1893 : Républicanisme opportuniste non socialiste
° 1893 – 1901 : D’accord avec Guesde (Lutte des classes, Théorie de la valeur, conception matérialiste de l’histoire). La touche qu’il apporte est une nuance idéaliste en plus de l’idée purement matérialiste du sens de l’histoire
° 1901 – 1905 : Jean Jaurès se détache peu à peu du marxisme et en devient de plus en plus critique. Il se rapproche de la République et s’éloigne des socialistes révolutionnaires. Il critique le marxisme pour son matérialisme dénué d’idéalisme et son internationalisme.
Malgré tout, le député castrais considère la grève comme une « véritable école de l’unité ouvrière ». Suite à la Révolution russe de 1905, il est totalement convaincu de l’utilité de la grève générale pour orienter les décisions économiques et politiques en faveur des plus démunis.
La problématique centrale pour que la classe ouvrière accède au pouvoir se pose vers la fin du XIXème siècle : Comment coordonner les actions du parti et des syndicats ?
Très rapidement, le France adopte le modèle allemand : le parti contrôle les syndicats qui deviennent des institutions de terrain. Cette façon de faire, inspirée de Jules Guesde amène en peu de temps les syndicats à être clairement révolutionnaires.
(Portrait de Jules Guesde)
Sur l’Etat, le natif de Castres ne pense plus que l’Etat est seulement un outil de la domination. En effet, l’Etat est également traversé en son sein par des conflits de classe sans oublier que celui-ci a aussi la possibilité de provoquer le changement social (lois sur la liberté et l’égalité sous la IIIème République).
Paradoxalement, cette évolution de Jaurès vers le parlementarisme au lieu de la révolution se fait avec la fréquentation toujours plus fréquente des milieux ouvriers, si bien qu’il en est le porte-parole privilégié en 1913.
Il préconise plutôt un apaisement de la lutte des classes car une fois au pouvoir, les socialistes auront besoin des bourgeois. Il faudra effectivement « conserver le rythme ardent de la production massive car autrement, même si les circonstances nous portaient au pouvoir politique total, nous ne tarderions pas à en être chassés et pour longtemps ! »
Socialisme indépendant, socialisme unificateur
D’abord républicain opportuniste, Jaurès se tourne peu à peu vers le socialisme. Il déclare en 1893 : « Vous avez fait la République et c’est votre honneur… […] vous avez interrompu la vieille chanson qui berçait la misère humaine et la misère humaine s’est réveillée avec des cris, elle s’est dressée devant vous et elle réclame aujourd’hui sa place au soleil du monde naturel, le seul que vous n’ayez point sali. »
Il prend conscience de l’unité de la classe ouvrière lors des grandes grèves à Carmaux de 1893. Il adhère conception marxienne de la lutte des classes et à ce passage du Manifeste du parti communiste: « Les prolétaires n’ont rien à perdre que leurs chaines ».
(Jean Jaurès prend la parole publiquement lors d’une grèves des ouvriers mineurs à Carmaux en 1893)
En 1894, défense de la liberté de la presse et des journaux anarchistes et demande d’un impôt proportionnel selon ses revenus. En Août 1895, Jaurès défend les verriers de Carreaux licenciés.
Plutôt anti-dreyfusard en 1894. Il change d’avis avec l’influence de son ami Herr. Il s’exclame en 1897 : « La condamnation de Dreyfus s’explique soit par un patriotisme exagéré, soit par l’hostilité à l’égard d’un juif. »
Jaurès devient également le leader du groupe à l’Assemblée. Les années 1906 à 1909 semblent se limiter à un duel entre lui et Clemenceau, ministre de l’intérieur. On reproche au milieu d’envoyer l’armée face aux ouvriers en grève. Les luttes verbales entre les deux hommes sont virulentes.
(Portrait de Georges Clemenceau)
Conclusion
Jean Jaurès naquit dans une famille bourgeoise de tradition monarchiste modéré. Il se rapproche des républicains modérés pour ses débuts en politique. Ce n’est qu’avec ses réflexions et son parcours qu’il se gauchiste et devient un vrai défenseur du peuple.
Le natif de Castres, d’abord républicain opportuniste devient socialiste grâce à la philosophie et l’élaboration de ses théories socialistes. Il devient le chef de file du Parti socialiste unifié (SFIO)
Sa fin tragique le 31/07/1914 fut la conséquence de la haine de l’extrême-droite le voyant comme un allié de l’Allemagne et non un défenseur de la patrie. Le décès de Jaurès pousse un peu plus la population dans la croyance que la guerre est désormais inévitable…
(Le Café Croissant, où Jean Jaurès fut assassiné le 31/07/1914)
N’oublions jamais la grandeur de Jean Jaurès, sa grande culture et sa trajectoire vers le socialisme, toujours dans un idéal de justice au service des plus démunis.
Gauchistement votre,
Le Gauchiste