Daniel Cohen – La prospérité du vice

 

Daniel Cohen est professeur à l’ENS et fondateur de l’Ecole de Paris. Il a notamment participé à la campagne politique de Martine Aubry en 2012 et celle de Benoit Hamon en 2017

 

Malgré la prospérité occidentale, il existe encore aujourd’hui des crises économiques en Europe. Condorcet et Montesquieu pensent que le commerce adoucit les moeurs mais le XXème siècle a montré tout le contraire selon le chercheur français. 

 

Ce sont les Européens qui ont voulu se développer en premier (Christophe Colomb, Galilée). Seulement, chaque pays durant son hégémonie a subit l’alliance des autres pays de façon à chaque fois cyclique avec des guerres (Espagne au XVIème, Hollande au XVIIème, France au XVIIIème, Allemagne au XXème). La Première Guerre mondiale est donc tout sauf un « accident de parcours »

 

Pour Daniel Cohen, le capitalisme ne pourra jamais satisfaire l’homme « L’homme moderne reste affamé, mais de biens dont il ignorait l’existence quelques années auparavant ». Une croissance rapide soulage les tensions sociales, car chacun peut croire qu’il rattrape les autres. Mais l’immense faiblesse de cet idéal est qu’il est vulnérable à tout ralentissement économique, quel que soit le niveau de richesse déjà atteint.

 

Daniel Cohen  nous propose une lecture téléologique de l’histoire en plaçant l’Occident comme précurseur de l’application de la science à la croissance. Il estime également que les grandes puissances sont responsable des désastres du XIXème et XXème siècle ainsi que du futur désastre écologique. La problématique actuelle nous pousse à nous rendre compte que nous n’avons plus le choix. En 2050,  il y aura deux fois plus de CO2 dans l’atmosphère qu’avant les débuts de l’industrialisation. Il y a urgence.

 

 

 

Pourquoi l’Occident ? Le mythe de la croissance infinie

Genèse

 

La naissance de l’économie est très controversée. Certains la voient démarrer en Asie alors que d’autres en Occident ou bien en Afrique. Il reste que la révolution industrielle démarre en Occident.

 

Cependant, le début de la domination occidentale n’est pas à remonter à Rome. La vision du travail des Romains et leur vision du travail ne pouvaient être associées à un développement optimal de l’économie. Comme le rappelle Aldo Schiavone : « EN persistant aussi bien à dépendre de l’esclavage qu’à refuser une élaboration sociale et intellectuelle du travail, donc en continuant de confiner l’espace de la production dans une irrémédiable marginalité, cette civilisation se soustrayait à l’avenir, devenant quelque chose comme une orbite morte. »

 

 

(Iconographie d’Aldo Schiavone)

 

 

Il faut attendre le Xème siècle pour voir l’Occident développer son économie. Les routes deviennent plus sécurisées, les royaumes s’urbanisent. Les villes qui deviennent davantage industrielles avec le développement de l’artisanat.

 

Avec le développement du capitalisme industriel, c’est toute une philosophie et une vision du monde qui change. L’homme passe d’un monde spirituel où la religion expliquait presque tout à un monde où il faut tout repenser avec une sécularisation de la conscience et un désenchantement du monde forcé.

 

 

 

 

Le mythe de la croissance infinie

 

Les thèses libérales apparaissent pour la première fois sous la plume d’Adam Smith. Il se fait l’inventeur et le promoteur de l’économie politique avec son Enquête sur les causes et la nature de la richesse des nations (1776). Il souligne l’idée que les hommes ont intérêt à adopter la division du travail et que la cupidité est à la source de la richesse des nations. Les intérêts privés coïncident avec les intérêts publics.

 

(Portrait d’Adam Smith)

 

 

Un an après, Karl Marx se rend compte de l’application tragique du libéralisme non contrôlé. Il voit que les ouvriers sont exploités absolument partout. Il réutilise le concept de surpopulation de Malthus en le transférant sur le prolétariat qui devient une « armée de réserve du capitalisme ».

 

Les économistes classiques (comme Ricardo) poursuivent la démonstration d’Adam Smith selon laquelle la croissance est infinie malgré la loi des rendements décroissants. Chaque courant de pensée libéral réaffirme cette idée de croissance infinie, d’autant plus que le développement de l’activité industrielle et de l’activité tertiaire nous pousse à considérer que les rendements ne sont pas toujours décroissants. Les rendements restent décroissants dans le domaine de l’agriculture mais ils sont constants dans le domaine industriel et même croissants dans le domaine tertiaire.

 

 

 

L’essence du capitalisme : Prospérité et Dépression

 

L’histoire montre que l’essence du capitalisme est de passer de périodes de prospérité à des périodes de dépression. Daniel Cohen nous montre que l’histoire économique est traversée de période d’expansion et de périodes de récession.

 

Les cycles Kondratiev nous expliquent d’une période économique se déroule pendant une durée de 25 (25 ans de prospérité puis 25 ans de récession) avec d’autres cycles à l’intérieur de ce même cale (comme les cycles Juglar qui durent en moyenne 10 ans).

 

Malgré ces cycles, le monde croit économiquement depuis les débuts de la révolution industrielle. Le revenu par habitant a beaucoup augmenté pendant les Trente Glorieuses au sein des pays occidentaux. Pourtant, un paradoxe se crée.

 

Pourquoi les Français ne sont pas plus heureux en 1975 qu’en 1945 ? Car le bonheur des modernes n’est pas proportionnel au niveau des richesses atteint. Il dépend de son accroissement, quelque soit le point de départ de celui-i. C’est le Paradoxe d’Easterlin. La consommation est une drogue. On ne peut plus se passer de biens dont on ignorait l’existence 10 ans plus tôt. Le plaisir qu’elle procure est éphémère mais le désespoir est immense quand on en est privé. 

 

(Photographie de Richard Easterlin)

 

Ce qui rend les gens heureux, ce n’est pas nécessairement la croissance mais plutôt l’espoir qu’ils vont d’améliorer leur situation financière et affective. Mieux vaut être dans un pays pauvre qui s’enrichit plutôt que dans un pays riche qui stagne. 

 

Pourquoi faut-il donc le remettre en question le capitalisme à l’heure de l’urgence écologique ?

 

 

 

Et maintenant ? Remettre en cause le capitalisme et relever le défi écologique

Remise en cause du capitalisme

 

                   Sur la Régulation du capitalisme : Keynes Vs Monétaristes

 

Comment expliquer donc ces crises répétées du capitalisme qui suivent des cycles ? John Meynard Keynes, économiste britannique du XXème siècle explique que l’Etat ne joue pas assez son rôle dans la régulation et surtout la stimulation de l’économie. Tout sa pensée se retrouve dans son ouvrage phare la Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie (1936) au sein duquel il s’oppose à toute la pensée économique classique qui l’a précédé.

 

(Portrait de Jonh Meynard Keynes)

 

 

La pensée de John Meynard Keynes est à la fois une pensée de l’investissement et de la consommation. Etant donné que ce sont les ménages les plus pauvres qui ont la plus grande propension à consommer, il faut faire en sorte qu’ils aient la possibilité de consommer. Pour cela, l’Etat doit investir et verser des salaires aux travailleurs afin qu’ils puissent à leur tour consommer et créer un cercle vertueux de croissance.

 

Le développement de l’Etat-providence au XXème siècle aurait pu être l’exemple d’une application des théories de John Meynard Keynes. Cependant, cette mise en place a  été rendue obligatoire par les deux guerres mondiales pour résoudre des problèmes et n’était pas le fruit d’une véritable volonté d’appliquer la théorie keynésienne. Ceci se vérifie par l’abandon progressif de cet Etat-providence dès les années 80 avec les tournants de la rigueur.

 

L’histoire nous montre que les tentatives keynésiennes n’ont jamais véritablement été mises en place. C’est au contraire la pensée monétarisme de Milton Friedman qui l’a emporté avec les politiques libérales et l’interventionnisme relatif de l’Etat.

 

 

 

          Le capitalisme est lié à la guerre : cycle Kondratiev et volonté de puissance             

 

Daniel Cohen s’interroge sur l’origine des guerres. D’où viennent-elles ? (Ennui, malheur, prospérité, crise).

 

L’auteur français développe son idée à travers celle de Kondratiev. Le statisticien russe note que les périodes d’expansion économique sont souvent liées à des guerres (Expansion napoléonienne de la fin du XIXème à 1814 ou encore toutes les guerres entre 1848 et 1870) alors que les périodes de récession sont plutôt favorables à la paix (Conservatisme budgétaire et politique avec la paix entre 1815 et 1848).

 

On en conclut que les conflits de déclenchent, jusqu’à la Première Guerre incluse, dans les périodes hautes des cycles de Kondratiev. A l’inverse, les périodes de paix démarrent toujours après un krach économique qui a lieu après une forte période de croissance.

 

Cela n’est pas sans rappeler l’ancienne idée de Jean Jaurès selon laquelle : « Le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage. » Toute cette vision s’oppose à l’idée de Montesquieu qui était partagée pendant les Lumières selon laquelle les batailles commerciales empêchaient les batailles militaires. Toute l’histoire du XIX et du XXème siècle nous montrent que c’est faux. Il y aurait donc à craindre pour les pays émergents, surtout entre eux davantage que contre les puisse ces occidentales.          

 

Pour Keynes, économie et politique sont liés. La guerre engendre la croissance car l’Etat prend en main une grande partie de la production et stimule la demande puis cesse d’être autant interventionniste après la guerre, ce qui crée la récession. 

 

Seulement, le mouvement est double. A la fois la guerre provoque la croissance mais la croissance elle-même provoque la guerre car chaque pas cherche de nouveaux marchés et de nouveaux débouchés, ce qui crée des tensions énormes (idée de Lénine). La volonté de croissance et la croissance même poussent les Etats à accomplit leurs ambitions, souvent impérialistes.

 

Conjointement aux désastres du capitalisme, le désastre écologique nous guette à un horizon très proche.

 

 

 

 

Le défi écologique

         La problématique posée par la loi de Malthus

 

Pour illustrer sa loi, Thomas Malthus nous propose de prendre l’exemple français de l’époque moderne. La France connait une Période de croissance aux XVème et XVIème. Pourtant, famines au XVIIème en France où le revenu par habitant n’a en réalité pas augmenté. Pourquoi ? Malthus l’explique par sa loi de population : « Quels que soient les progrès réalisés par les civilisations humaines, dans le domaine des arts ou des techniques, le revenu des habitants d’une nation ne peut pas progresser car lorsque le revenu d’une nation rend à croître, la population tend à croître plus vite encore. »

 

 

(Portrait de Thomas Malthus)

 

 

Toute amélioration du niveau de vie des populations déclenche ainsi une croissance exponentielle de la population. Elle doit être brisée, tôt au tard, faute de terres disponibles. Qui plus est, Malthus expose la loi des rendements décroissants selon laquelle, la croissance démographique oblige à son tour à une croissance économique. Seulement, les nouvelles terres cultivées sont moins productives que les premières et produisent donc moins par unité de surface : c’est la loi des rendements décroissants.

 

Contrairement aux philosophes des Lumières comme Condorcet, Malthus condamne la croissance économique si elle ne régule pas dans le même temps les naissances. Selon lui, la croissance démographique étant exponentielle par rapport à la croissance économique, le monde court à sa perte sur le long terme, c’est une malédiction.

 

Malthus en vient à préférer le monde pré-industriel où le manque d’hygiène assurait une forte mortalité et donc moins de bouche à nourrir. Il y avait moins de personnes mais elles vivaient avec assez à manger et boire.

 

   

     Le désastre écologique à l’heure des pays émergents

 

La malédiction malthusienne n’a jamais été aussi vraie qu’à l’époque actuelle. Le suicide collectif est désormais l’écologie. Si la consommation de papier de la Chine rejoignait celle des Etats-Unis, elle en consommerait 305 millions de tonnes : de quoi engloutir l’ensemble des forêts de la planète. Pour Lester Brown : « Le modèle économique occidental est inapplicable à une population de 1,45 milliards de chinois. »

 

(Iconographie de Lester Brown)

 

Le réchauffement climatique est désormais un phénomène incontestable (Hausse du niveau de la mer et des océans, disparitions d’espèces, menace sur l’eau). Selon Lester Brown : « Le socialisme s’est effondré car il ne laissait pas le marché dire la vérité économique. Le capitalisme pourrait s’effondrer parce qu’il ne permet pas de dire la vérité écologique. »

 

A l’horizon 2050, les chercheurs estiment que le nombre d’enfants par femme sera d’en moyenne 1,85. Donc sur le très long terme, le problème de Malthus sera réglé. Mais pour l’instant, tous les indicateurs sont au rouge

 

 

        Que faire ?      

 

Face à ce désastre qui s’ouvre à nous, Daniel Cohen propose un ensemble de mesures afin d’assainir la situation écologique mondiale. Voici les quelques mesures qu’il propose :

    

    ° Taxation carbone avec des audits (normes environnementales)

 

   ° Ne pas subventionner les entreprises polluantes (exploitation des nappes phréatiques, pêche excessive, coupe de la forêt)

 

    ° Financer des projets de développement durable

 

    ° Trouver des solutions par rapport au problème de surpopulation   

       

 

 

 

Conclusion

 

La prospérité est à priori un don inespéré. Cependant, le réel bonheur d’une population n’est pas déterminé par sa quantité de biens matériels mais plutôt par sa propension à croire que son destin va s’améliorer.

 

Le modèle romain visant à accumuler les savoirs sans pour autant les utiliser à des fins productives est le modèle auquel nous devons retourner sous menace de désastre écologique. 

 

L’Europe, qui inspire aujourd’hui les pays émergents dans la quête effrénée de croissance doit proposer une nouvelle vision du monde en adéquation aux problématiques écologiques. 

 

Les prévisions malthusiennes nous montrent que l’après 2050 sera stabilisé avec une moyenne de 1,85 enfants par femme mais l’humanité nécessite d’être sauvé maintenant et dès demain.

 

Reppelons-nous que le capitalisme, en nous apportant la prospérité, ne nous a jamais la paix. Il nous mène même vers un désastre écologique certain.

 

Gauchistement votre,

 

Le Gauchiste