Alors que la fin des années 1960 marque l’avènement de poussées révolutionnaires dans toute l’Europe, les années 1970 sont le symbole de l’abandon des utopies et le retour à la normale.

 

La France et l’Europe se sont bercées d’illusions ; le réveil n’est alors que plus difficile. C’est dans ce cadre que le gauchisme post-68 se délite complètement. Désormais, le Parti Communiste Français accepte le programme commun à partir de Juin 1972 avec le Parti Socialiste.

 

(Georges Marchais et François Mitterrand se mettent d’accord pour le programme commun)

 

 

Plus évènements marquent le recul de l’idéologie révolutionnaire. D’abord la publication de l’Archipel du Goulag (1974) de Soljénitsyne qui montre l’atrocité des camps en URSS, puis la mort de Mao Tsé-Toung et de la « bande des quatre » qui marque le révisionnisme de la révolution culturelle en Chine.

 

Conjointement, le militantisme se décompose, notamment au sein des partis extrémistes qui perdent énormément d’adhérents et de militants. Symbole de cette chute vertigineuse, la création du journal Libération en 1973 qui, composé de maoïste, devient un journal, certes de gauche mais assez neutre et peu militant.

 

(Une du journal Libération en 1975)

 

Finalement, les expériences (URSS, Chine, Cuba) ont fait déchanter la gauche et son optimiste. Désormais, elle ne sait à quoi se raccrocher, entrant dans les « années orphelines » décrites par Jean-Claude Guillebaud dans Les années orphelines (1978).

 

(Couverture des Années orphelines de Guillebaud)

 

Dans son ouvrage Mai 68, l’héritage impossible (1998), Jean-Pierre Le Goff nous expose l’idée que les racines mêmes du gauchisme spontanéiste et culturel auraient détruit dès ses origines la possibilité d’un vivre ensemble et d’une action politique rationnelle. Qu’en est-il ?

 

(Couverture de Mai 68, l’héritage impossible de Jean-Pierre Le Goff)

 

 

« L’effet Soljénitsyne »

 

En publiant L’Archipel du Goulag (1974), Soljénitsyne lance une bombe. En dédiant son livre « à la mémoire de ceux qui ont été suppliciés et assassinés », l’auteur russe démontre que le goulag n’a en aucun cas été un accident de l’histoire et qu’il faisait partie intégrante du fonctionnement de l’URSS (répression, avilissement, torture physique et morale). Les faits sont graves et traumatisants.

 

(Soljénitsyne, auteur de L’Archipel du Goulag)

 

Ce qui choque avant tout, c’est l’aveuglement des partis communistes occidentaux face à la barbare soviétique. Désormais, il est impossible de dire que l’URSS a mal compris le marxisme et une société plus juste. Symbole de ce déni de réalité, l’allocution de Georges Marchais qui continue à percevoir l’URSS avec un bilan « plutôt positif ». Face à cet aveuglement, André Glucksmann parodie les communistes dans un discours saillant : « Camarades, il ne faut pas adopter un point de vue moralisateur, subjectif, borné sur les choses de l’Histoire. L’arbre ne peut pas cacher la forêt, il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau stagnante du bain… des dizaines et des dizaines de milliers de cadavres certes… mais… » 

 

(Portrait d’André Glucksmann) 

 

Adieu la Chine

 

A l’image du régime soviétique, le régime maoïste est également remis en cause de la même manière. Alors que ce dernier bénéficie d’une aura dans l’Europe entière, plusieurs militants ex-maoïstes (Claudie Broyelle, Jacques Broyelle et Evelyne Tschirhart) décident de partir en Chine pour voir de plus près ce qui fascine tant les communistes occidentaux.

 

Ils explorent la Chine entre 1972 et 1975 et rapportent dans leur ouvrage Deuxième retour en Chine (1978) : « La Chine a souffert de longues années de silence approbateur ou des louanges dont nous avons un Occident couvert son régime. La moindre chose que nous puissions faire est de rompre le silence. »

 

(Couverture de Deuxième retour en Chine)

 

L’aveuglement et l’embrigadement furent ici total. La légitimation du régime ne tenait qu’à un simple texte utopique et beaucoup lu Le Petit Livre rouge où germait l’idée révolutionnaire qu’il ne fallait pas dissocier l’intellectuel u manuel. Ainsi, les prolétaires pourraient s’instruire et les intellectuels mieux les comprendre en pratiquant des tâches manuelles.

 

Les jeunes maoïstes ont vu dans le régime chinois la possibilité de dépasser le totalitarisme soviétique en court-circuitant la bureaucratie, le parti. Ce régime était vue comme une sorte de potentielle nouvelle Commune de Paris avec la participation de chacun et l’aspiration à la démocratie directe. En laissant exprimer les idées de chacun, on pourrait dénoncer les fausses vérités énoncées et les corriger. Seulement, Mao, en laissant la parole libre, se laissait le soin de finalement prodiguer la bonne parole en fin de compte, ce qui enlève tout véritable aspect démocratique au régime.

 

(Le petit livre rouge de Mao Tsé-Toung)

 

Pire encore, les arrestations furent permanentes contre les « contre-révolutionnaires ». Chaque personne exprimant des idées fausses de voyait être interrogée et torturé afin de revenir aux idées défendues par le régime.

 

Tout comme pour l’URSS, l’aveuglement par rapport à la Chine n’a de sens qu’à la compréhension de la volonté d’instaurer le socialisme, coûte que coûte. A ce petit jeu-là, tous furent perdants.

 

 

Une blessure narcissique et un nouveau romantisme ?

 

Face à des révélations, la désillusion est immense. Pour beaucoup, la vie est devenue un vide, quelque chose qui n’a plus de sens. Beaucoup d’ouvriers avaient placé leurs espoirs dans la révolution en arrêtant de travailler et se retrouvent dans une grande difficulté et une grande souffrance. 

 

Malgré ces souffrances, certains auteurs réussissent à renouer avec un certains romantisme post-68. Par exemple, Michel le Bris publie L’homme aux semelles de vent (1977) en reprenant les figures de Rimbaud et d’Antonin Arnaud qui symbolisent l’idéalisme « Ils allèrent jusqu’à l’ultime de l’union de l’oeuvre et de la vie, jusqu’à briser leur cri contre le monde – et eux avec lui. » Ils représentent l’absolu d’une révolte impossible qui devient rapidement mortifère. Michel le Bris tente de retrouver un sens avec cette figure de l’artiste maudit et de l’éternel incompris. Il rappelle : « L’aventure est le chemin lui-même, non le but. »

 

(L’homme aux semelles de vent de Michel le Bris)

 

La capacité de résister à cette désillusion trouve son salut entre la transformation révolutionnaire du monde à d’autres dimensions de l’existence. Tout ce courant romantique est à la base des nouvelles problématiques qui vont se poser (écologie, féminisme, place de l’homme dans la monde). En développant son mouvement, le romantisme tente de répondre à des questions non-résolues par les utopies communistes (Comment rendre habitable un monde qui ne l’est plus ? Comment délivrer la raison de la folie ? Comment retrouver l’Orient ? Comment laisser l’Occident être femme ?

 

Michel le Bris conclut : « La révolte existentielle se détache de l’idéologie révolutionnaire de référence pour tenter de retrouver une pureté première, en s’orientant comme les romantiques vers « la quête de cette Jérusalem intérieure. L’homme ne trouve plus son bonheur dans la lutte pour la transformation du monde, mais dans la contemplation et la célébration des forces spirituelles mystérieuses qui l’animent, lui et le monde. »

 

 

 

N’oublions pas les horreurs perpétrés par les régimes communistes soviétiques et chinois. Face à un tel vide provoqué par la découverte de ces tortures, comment renaître après la chute de idéologies ? Michel le Bris reprend des idées développées par Artaud et Rimbaud pour replacer le romantisme lyrique dans une perspective individualiste héritée de Mai 68 pour retrouver le bonheur.

 

Gauchistement votre,

 

Le Gauchiste