Réalisateur des années 1930 aux années 1950, Roberto Rossellini traverse la Seconde Guerre mondiale avec une conviction qui ne le quitta jamais : sa croyance en l’homme. Vers la fin de sa vie il déclare : « Même si je possède dans ce domaine une espèce d’habileté, le cinéma n’est pas mon métier. Mon métier est celui qu’il faut apprendre quotidiennement et qu’on n’en finit jamais de décrire : c’est le métier d’homme. Et qu’est-ce qu’un homme ? C’es un être debout qui se hausse sur la pointe des pieds pour apercevoir l’univers. Ma passion, peut-être aussi ma folie, est de comprendre chaque jour un peu plus. »

 

Cette vision, c’est la conséquence d’une volonté de croire à nouveau en l’espère humaine après le désastre moral sans précédent de la Seconde Guerre mondiale. Pourtant très hollywoodien, Rossellini insiste sur les idées, il s’exprime : « L’important, ce sont les idées, pas les images, il suffit d’avoir des idées très claires et l’on trouve l’image la plus directe pour exprimer une idée. » Cette conception du cinéma s’allie à ce qui l’anime le plus : Retrouver l’homme. Il propose : « Il faudrait que l’homme reprenne possession de l’homme. » Cette négligence de la forme pour les idées se traduit par cette pensée rossellinienne que : « Un film est toujours un croquis. Il s’agit de faire le croquis le plus vivant possible. »

 

 

Les années de formation à Rome

« Une famille assez spéciale »

 

L’enfance de Rossellini est très heureuse. Il grandit dans une des famille les plus riches de Rome grâce à son grand-père entrepreneur qui a construit de nombreux immeubles à Rome.

 

Le quotidien de la famille Rossellini est caractérisé par la liberté de parole et la rencontre d’intellectuels et de curieux aux repas de famille. Dès l’âge de 13 ans, Roberto participe aux conversations endiablées d’adultes. C’est ici que naît sa soif de connaissance. 

 

 

La plus belle salle de cinéma de Rome

 

Comme beaucoup d’enfants surdoués, le futur cinéaste italien s’ennuie à l’école et préfère rester chez lui à lire ou regarder des films. Surtout, il profite du cinéma Le Corso, crée par son père, à une époque où Rome est considéré comme le Hollywood italien. Très rapidement, le jeune Roberto va tous les jours au cinéma, faisant murir sa passion pour les Chaplin (son cinéaste préféré) ainsi que les King Vidor, Murnau.

 

(Cinéma Le Corso sur la Piazza San Lorenzo à Rome

 

Un « fils de famille »

 

En 1924, son grand-père Zeffiro meurt et le cinéaste dépense tout l’héritage. Il se passe la même chose après la mort de son père en 1932. C’est alors qu’il développe une image de play-boy toujours dépensier et charmeur. C’est ce qui permettra aux maisons de production de lui accorder leur confiance en dépit de sa mauvaise gestion financière.

 

 

Le fascisme

 

En marge de cette vie extravagante, le fascisme débarque en Italie en 1922 avec la Marche sur Rome. C’est à ce moment-là qu’un déclic se produit chez Rossellini : « C’était le soir, le projecteurs installés via Calabria illuminaient toute la rue, il y avait les Chemises noires et Mussolini annonça la formation du premier gouvernement fasciste. »

 

(Iconographie de la Marche sur Rome)

 

Pour autant, la plupart des cinéastes italiens collaborent malgré leur esprit de résistance : « Le cinéma italien, alors, était fasciste des pieds à la tête. Il défilait etc chemise noire, drapeaux claquant au vent et à la bouche quelque hymne bien martial. J’ai utilisé toute mont habileté à réaliser des films sans tomber prisonnier de ce système-là. »

 

Cette capacité à se fondre entre les mailles du filet devient un marque de fabrique chez le réalisateur italien. Il compose en 1942 Un pilote revient avec le fils de Mussolini, Vittorio, puis il réalise avec le scénariste communiste Sergio Amidei la Trilogie néoréaliste entre 1945 et 1947. 

 

 

(Un pilote revient de Rossellini en 1942)

 

 

L’entrée en cinéma

 

L’entrée de Rossellini dans le cinéma se fait par la petite porte. Il commence par beaucoup de petits boulots avant de prendre lui-même sa propre caméra pour filmer. Il réalise des films sans grand succès, notamment des court métrages comme Le Dindon insolent  (1939) ou encore Thérèse la Vive (1939).

 

 

La trilogie de la guerre (1941-1943)

 

Traumatisé par l’avènement du fascisme et le respect de ses ancêtres antifascistes, le cinéaste romain tente de ne pas se compromettre avec le régime. Pour autant, il accepte le soutien du fils de Mussolini Vittorio pour tourner trois longs métrages de la trilogie de la guerre à propos de la marine (Le Navire blanc en 1941) puis l’aviation (Un pilote revient en 1942) et l’armée de terre italiennes (L’Homme à la croix en 1943).

 

 

(Extrait du Navire Blanc de 1941)

 

 

Sans faire l’apologie du fascisme, Rossellini tente de montrer les souffrances des individus minuscules. Cette trilogie observe l’homme au microscope comme le feront les films néoréalistes. Le natif de Rome assume ce lien entre Le Navire blanc (1941) et les premiers films de la trilogie néoréaliste.

 

On aperçoit déjà dans la trilogie de la guerre des thèmes récurrents de chez Roberto Rossellini (problème des hommes avec l’espérance dans L’Homme à la croix en 1943 notamment).

 

(Le désespoir de l’homme dans L’homme à la croix de 1943)

 

 

La Proie du désir : une oeuvre de transition

 

La véritable rupture se produit en 1943 lorsque le cinéaste italien trouve son âme d’artiste et rentre activement dans la Résistance : « C’est en juillet 1943 que je suis passé de l’autre côté du décor, en rejoignant la Résistance. J’ai vécu, durant les onze mois qui se sont écoulés jusqu’à la libération de Rome, une existence obscure et compliquée, où le sublime se mêlait au grotesque, comme toujours dans la vie, mais avec un grossissement caractéristique de ces temps troublés. »

 

Avec La Proie du désir (1943), Rossellini explore sa vision de la femme hantée qui souhaite se libérer et retrouver sa liberté mais qui finit par mourrir de désespoir. Ce topos fera partie de toute sa filmographie avec notamment Anna Magnani et Ingrid Bergman. 

 

 

(La Proie du désir, film de transition majeur) 

 

Le néoréalisme selon Rossellini

La rencontre avec Sergio Amidei

 

Après la chute du fascisme, l’heure est à la redécouverte de la liberté et la volonté de créer un programme culturel de la Libération. Opportuniste, Rossellini se lie d’amitié avec Amidei avec qui il tourne les trois chef-d’oeuvres néoréalistes Rome, ville ouverte (1945) puis Paisa (1946) et Allemagne année zéro (1947).

 

 (Sergio Amidei, grand scénariste communiste italien)

 

Le roman d’aventure de Rome, ville ouverte

 

Dans un cadre d’après-guerre ont beaucoup de villes ont souffert, Rossellini évoque sa ville de coeur : Rome. Le film Rome ville ouverte (1945) évoque parfaitement la réflexion entamée par Jacques Rivette sur l’idée que « Un film raconte l’histoire de son tournage ». Le cinéaste romain raconte : « En 1944, immédiatement après la guerre, tout était détruit en Italie. Dans le cinéma comme ailleurs. Presque tous les producteurs avaient disparu. On jouissait alors d’une immense liberté. L’absence d’industrie organisée favorisant les entreprises les moins routinières. »

 

(Une scène déchirante où Anna Magnani finie fusillée par les Allemands dans Rome ville ouverte)

 

 

« Mon « néoréalisme » est personnel »

 

Après des décennies, la trilogie néoréaliste et Le voleur de bicyclette (1948) de Vittorio de Sica restent les témoignages les plus forts du mouvement néoréaliste. Comment définir cette esthétique ?

 

(Le Voleur de bicyclette, grand classique du cinéma italien)

 

Premièrement, Rossellini défend l’idée qu’il n’y a pas un mais plusieurs néoréalismes. Il se défend dans le magazine Arts en 1954 : « Mon « néoréalisme » personnel n’est pas autre chose qu’une position morale qui tient en trois mots : l’amour du prochain. » 

 

Contrairement aux apparences, le cinéma néoréaliste du réalisateur romain n’est pas essentiellement social à l’opposé de la vision de Cesare Zavattini : « Notre mouvement est simplement une tentative pour rester toujours au niveau du peuple italien. »

 

(Cesare Zavattini, grand homme du cinéma italien)

 

Rome ville ouverte (1945) peut être vu comme un conflit entre la volonté esthétique de Rossellini et l’aspect voulu par Amidei. Le film retrace l’optimisme communiste avec des personnages combatifs alors que l’esthétique rossellinienne est purement pessimiste avec des ambiguïtés morales fortes chez les personnages. Le réalisateur italien conclut sur son film : « Pour moi, le réalisme n’est que la forme artistique de la vérité. »

 

 

Une position morale

 

Avec ce premier film purement rossellinien, le Romain explique sa position morale : « Je me suis donné deux objectifs. D’abord, la position morale : regarder sans mystifier, essayer de faire un portrait de nous aussi honnêtement que possible. L’autre objectif était de briser les structures industrielles de ces années, d’être capable de conquérir la liberté d’expérimenter sans conditions. Une fois ces deux objectifs atteints, vous vous apercevez que le problème du style est déjà automatiquement résolu. Quand vous renoncez à faire semblant, à manipuler, vous avez déjà une image, un langage… un style. »

 

Le cinéaste précise sa posture morale : « Mon néoréalisme se fonde sur l’art, la politique, la « nature » humaine, l’existence du mal, le « progrès » historique. Je ne veux pas proposer de nouvelle idéologie. Je veux dire que je n’envoie de message à personne. Je me borne à observer les choses au microscope. »

 

Chez Rossellini, le néoréalisme est toujours lié à l’observation de la personnalité d’un enfant auquel on s’identifie : « Le néoréalisme consiste à suivre un être, avec amour, dans toutes ses découvertes, toutes ses impressions. Il est un être tout petit au-dessous de quelque chose qui le domine et qui, d’un coup, le frappera inexorablement au moment précis où il se trouve librement dans le monde, sans s’attendre à quoi que ce soit. »

 

 

La trilogie des villes en ruines

 

La trilogie néoréaliste pourrait aussi s’appeler la « trilogie des villes en ruines » avec l’aspect documentaires de trois enquêtes et déambulations dans Rome, l’Italie et Berlin.

 

Tandis que Paisa (1946) retrace toute l’Italie du Sud au Nord avec la Libération, Rome ville ouverte (1945) se focalise sur Rome pendant l’occupation et Allemagne année zéro (1947) évoque la vie d’une famille misérable au lendemain d’un Berlin semi-détruit.

 

En prenant du recul sur son oeuvre, Rossellini encense Paisa (1946) qui représente le mieux pour lui l’essence néoréaliste. Le film reprends des histoires rapidement coupées, pour faire comprendre au spectateur que le temps n’existe plus, qu’il peut s’arrêter à tout moment, qu’il n’a plus de valeur. Une longue séquence film une paysanne sicilienne ; le spectateur s’attache à elle mais elle meurt sans raison apparente, tout comme les combattants qui meurent absurdement dans la plaine du Pô).

 

 

(Scène très émouvante dans Paisa)

 

Allemagne année zéro (1947) est l’aboutissement du néoréalisme rossellinien avec le parcours d’un enfant raconté du début à la fin. Le cinéaste italien déclare à propos du film : « Les Allemands étaient des êtres humains comme les autres ; qu’est-ce qui avait pu les amener à ce désastre ? La fausse morale, essence même du nazisme, l’abandon de l’humilité pour le culte de l’héroïsme, l’exaltation de la force plutôt que de la faiblesse, l’orgueil contre la simplicité ? » Finalement, le suicide du personnage principal à la fin du film est une sorte de retour à la raison, comme s’il était impossible de vivre au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

 

 

(L’errance du personnage principal Edmund, dans un Berlin semi-détruit. Allemagne année zéro 1947) 

 

 

L’invention du cinéma moderne

D’Anna Magnani à Ingrid Bergman : le tournant de l’Amore

 

Un tournant s’opère chez Rossellini à la fin des années 1940. Ce tournant a lieu en 1947 lors du tournage d’Amour. Alors que le cinéaste romain tente de faire perdurer l’esthétique néoréaliste en dehors de la guerre (obsession pour le visage d’Anna Magani qui est analysé comme s’il passait devant un microscope), un évènement se produit. 

 

Le réalisateur se lasse du néoréalisme et surtout, il fait la rencontre d’Ingrid Bergman, bientôt se nouvelle compagne après qu’il quitte Anna Magnani. Dans Amour, Anna Magnini s’offre littéralement en tant que figure féminine désespérée, cherchant des repères. Leur relation personnelle et cinématographique s’arrête net peu après le tournage. 

 

(Anna Magnani dans Amour, son dernier film avec Roberto Rossellini)

 

Une lettre

 

Rossellini regarde Les Enchainés (1946) d’Alfred Hitchcock où il découvre la magnifique Ingrid Bergman. Peu après, l’actrice suédoise lui écrit une lettre : « J’ai vu vos films Rome, ville ouverte et Paisa, et je les ai beaucoup aimés. Si vous avez besoin d’une actrice suédoise qui parle très bien l’anglais, qui n’a pas oublié son allemand, qui n’est pas très compréhensible en français et qui, en italien, ne sait dire que « Ti amo », je suis prête à faire un film avec vous. »

 

(Ingrid Bergman dans Les Enchainés d’Hitchcook)

 

Face à l’absurdité de la vie post-Seconde Guerre mondiale, Roberto Rossellini cherche un nouvel espoir, il le trouve avec Bergman : « Stromboli est l’histoire d’une femme qui, après avoir vécu la guerre avec toutes les saloperies qu’il fallait accepter pour survivre, essaie de se réinsérer. » 

 

 

Ambiguïté de Stromboli, Rossellini, cinéaste catholique ?

 

Le Stromboli peut être vu comme une volonté avec la religiosité chrétienne dans un monde en ruine en recherche de repère. Déjà avec l’Allemagne nazie, Rossellini considérait que la religion catholique avait été bafouée et qu’elle aurait pu être un humanisme dans ces moments de malheur. 

 

Avec ce film, Ingrid Bergman se retrouve à la fin du film au sommet du Stromboli avec une invocation désespérée de Dieu. Serait-ce une tentative de rédemption suite au « couple adultère » entre Rossellini et Bergman et surtout suite à l’abandon de la religion chrétienne au profit d’idéologies meurtrières ?

 

(Ingrid Bergman au sommet du Stromboli dans le film éponyme Lo Stromboli)

 

Eric Rohmer fut parmi les premiers à comprendre l’ampleur du cinéma de Roberto Rossellini. Il y voit une apologie du catholicisme : « Rossellini est une génie du christianisme. Europe 51, les Fioretti et  Le Miracle sont de nouvelles pierres de cette cathédrale que la chrétienté ne cesse de dresser à la gloire d’un Dieu qui n’est pas mort dans son coeur. » Le cinéaste italien ajoute : « Selon moi, Le Miracle (1948) est une oeuvre absolument catholique. Quand on parle de liberté, la première chose qu’on ajoute c’est « la liberté, oui, mais dans une certaine limite. » Non, on refuse même la liberté abstraite puisque c’est un rêve qui serait trop beau. C’est pourquoi je trouve dans le christianisme une force immense : c’est que la liberté est absolue, vraiment elle est absolue, selon moi. »

 

La trajectoire du Rossellini est singulière entre films chrétiens des années 1940, films humanistes des années 1970 et finalement les films marxistes pour la télévision, il reste cette cohérence dans l’aspect documentaire, le refus du sentimentalisme et la volonté de montrer les personnages comme ils sont.

 

 

Les « Bergman-films »

 

Les « Bergamo-Films » constituent les 5 films réalisés entre 1949 et 1954 par le cinéaste romain avec Ingrid Bergman comme actrice principale (Stromboli en 1950, Europe 51 en 1952, Voyage en Italie en 1953, Jeanne au Bûcher en 1954 et La Peur en 1954 également).

 

Après sa période néoréaliste, Roberto Rossellini tente de trouver un nouveau sens, sa nouvelle relations avec Bergman s’inscrit dans ce processus. Dès lors, ces cinq films sont une sorte d’autobiographie de leur relation. D’abord l’exil de l’étrangère dans le Stromboli (1950) puis la mort de Romano, fils de Rossellini dans Europe 51 (1952) avant de proposer le délitement de leur mariage dans Voyage en Italie (1953) et finalement le sadisme inhérent à toute rupture dans La Peur (1954).

 

(Ingrid Bergman et Georges Sanders, dans Voyage en Italie et les débuts du cinéma moderne)

 

 

La tentative voulue à travers ces films, est de dépasser ce qu’Antonioni appelle l’ « incommunicabilité » qui s’est mise en place au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Le film le plus représentatif de ces 5 films est Voyage en Italie (1953). La peur est présente partout dans le film (Georges Sanders a peur de voir la lumière, Bergman a peur du cosmos, de visiter Naples). Face à la lourdeur de leur couple, un miracle se produit à la fin du film ; constituant une sorte de révélation selon laquelle il faut dépasser cette peur et accepter de vivre, de se retrouver, de faire en sorte sur « L’homme redevienne l’homme » pour reprendre les mots de Rossellini.

 

 

Le cinéma est mort : A la recherche d’un nouveau cinéma

« La terre mère » : le tournant de l’Inde

 

Après sa séparation avec Ingrid Bergman, une nouvelle phase de la vie de Rossellini s’ouvre. Sur les conseils de Jean Renoir, il décide de partir en Inde, pays qui deviendra sa troisième femme après Anna Magnani et Ingrid Bergman. Il tourne une série de documentaires pour la RAI et un long métrage India, Matri Bhumi (1959).

 

(India, matri bhumi, film consacré à l’Inde)

 

Le cinéaste italien explique sa révélation en Inde : « En fin de compte, je n’ai cessé d’aller davantage à la recherche de l’homme, de l’individu. Puis, certains de mes derniers films étaient autobiographiques. C’étaient des apologues pour moi-même. Puis, j’ai senti le besoin de rechercher de nouvelles sources, puisqu’ici je n’en trouvais point. Je les ai trouvées en Inde. » 

 

De cette découverte se développe une utopie plus profonde : comprendre l’homme. Il déclare : « Toute mon entreprise indienne a été pour moi une sorte d’étude pour un projet plus vaste que j’ai déjà mis sur pied. Je crois que tous les moyens de diffusion de la culture sont devenus stériles par le fait qu’on a entièrement abandonné la recherche de l’homme, tel qu’il est. […] Comprendre, c’est cela qu’il faut faire aujourd’hui. »

 

 

Anima sera : la mort du cinéma

 

Un grand spleen envahit Rossellini. Après avoir montré les tragédies post Seconde Guerre mondiale et une tentative de les dépasser avec les « Bergman-films », il renonce au « cinéma industriel » avec l’avènement de la pitoyable société de consommation des années 1960. Anima Nera (1962) avec le brillant Vittorio Gassman  propose deux personnages féminins perdus entre la compromission au fascisme et le désespoir qui perdure avec la société de consommation.

 

(Vittorio Gassman dans Anima Nera, dernier film moderne de Rossellini)

 

A la fin des années 1960, le cinéaste romain déclare : « L’homme n’existe plus et la télévision aide à retrouver l’homme. »

 

 

L’Âge du fer : l’histoire de l’humanité

 

Après avoir crée le « cinéma moderne », Rossellini anéantit cette nouvelle forme de cinéma qu’il juge narcissique, notamment à travers la figure d’Antonioni. Au contraire, il propose désormais de quitter l’individualisme en passant sans arrêt du microcosme au macrocosme. 

 

Le cinéma du réalisateur romain n’est plus du cinéma, c’est de la philosophie. Jean-Luc Godard déclare : « Il y a plusieurs façons de faire des films… Comme Socrate, je veux dire Rossellini, qui fait tout simplement de la philosophie. » A partir de La Prise de pouvoir par Louis XIV (1966), le cinéaste abandonné le cinéma « commercial » et se consacre entièrement à « une nouvelle pédagogie à travers les images. »

 

 

La dénonciation du spectacle et du « cinéma inconscient »

 

La vague des années 1960 est l’occasion pour beaucoup d’intellectuels de se ranger aux côtés de Guy Debord et de la Société du spectacle (1967). Rossellini ne déroge pas à la règle et s’exclame : « Pour la première fois depuis que l’homme existe, nous possédons un moyen de communication universel parce qu’immédiat, à la différence de l’écriture qui suppose un préalable culturel. Et qu’en avons-nous fait ? Une espèce de jeu de cirque qui corrompt tout le monde et tous les sujets. Auparavant, j’avais, moi aussi, réalisé du spectacle à ma manière. Romme ville ouverte (1945) laissait flotter un flou esthétique. C’était du cinéma inconscient. Je retourne au documentaire parce que je vais essayer de proposer de nouveau aux hommes, des hommes. » 

(La société du spectacle de Guy Debord, un classique)

 

Un grand nombre de longs métrages sont tournés dans les années 1970 (Blaise Pascal en 1971, Saint-Augustin en 1971, Descartes en 1974, Anno uno sur Alcide de Gasperi en 1974 ou encore Le Messie sur Jésus en 1975). La perspective rossellinienne est essentiellement marxiste. Le but de ces documentaires est de montrer chaque personnage historique dans son contexte historique pour comprendre la constitution de son mécanisme de pensée et en extraire la totalité. Son dernier film devait être consacré à Marx avec le nom de Travailler pour l’humanité. 

 

 

N’oublions pas le grand réalisateur et avant tout le grand homme qu’a été Roberto Rossellini. Son oeuvre fut traversée par la remise en question et surtout la recherche, recherche esthétique et recherche de sens. Recherche d’abord ponctuée par le néoréalisme puis le cinéma moderne avant de se tourner vers le documentaire, registre tentant de comprendre le macrocosme et le microcosme, mais surtout de comprendre l’homme.

 

 

Gauchistement votre,

 

Le Gauchiste